À l’heure de l’urbanisation, des grandes migrations et de la transition climatique et numérique, l’inclusion est au coeur des réponses aux défis de notre temps. Mais comment définir cette ville inclusive, résiliente et durable ?
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L’ancien maire de Denvers, Wellington Webb, a prononcé en 2009 à la conférence des maires des États-Unis, une phrase inspirante, résumant les enjeux urbains de l’humanité:
« Le XIXe siècle était un siècle d’Empires, le XXe un siècle d’États-nations. Le XXIe siècle sera celui des villes. »
En effet, dans quelques décennies, nos villes constitueront le cadre de vie de la quasi-totalité de l’humanité dans un monde qui est déjà aujourd’hui majoritairement urbanisé. C’est dans la ville que le cycle de vie des hommes se développe essentiellement de nos jours. De la naissance à la mort, le monde urbain est principalement l’univers, l’espace et le temps des humains. Naître dans une ville constitue déjà une appartenance à une culture urbaine, citadine, empreinte du rythme et du mode de vie des villes, métropoles, mégalopoles, de ces concentrations urbaines qui sont devenues des villes-monde. De l’enfance à l’adolescence, du passage à l’âge adulte et au vieillissement, plusieurs univers urbains de vie coexistent.
Partout dans le monde, ces espaces urbains doivent aujourd’hui faire face à cinq grands défis, pour répondre aux besoins et attentes de leurs habitants : social, économique, culturel, environnemental et de résilience. Toutes nos villes sont concernées par de nombreux défis : combattre l’exclusion sociale, faire reculer la pauvreté, favoriser l’accès à l’éducation et à la culture, créer de l’emploi et de la valeur, permettre de se déplacer plus facilement, s’adapter au changement climatique, intégrer nature et biodiversité, offrir des services et des usages nouveaux qui améliorent le quotidien de toutes les générations, faire face aux crises etc.
Mais le XXIe siècle est aussi le siècle de l’ubiquité. La massification de l’Internet porte cette image de la « ville numérique » afin de souligner la puissance du numérique sous ses multiples « e – x », tels le e-gouvernement, l’e-éducation, l’e-santé, etc. Avec la « ville connectée » elle devient massivement maillée par les « Smart Devices », la géolocalisation, l’Internet des objets, le big data et la présence de citoyens mobi et omni-connectés.
Comprendre le cycle de la ville
Il reste néanmoins à comprendre l’essentiel, le cycle de la vie de la ville. En effet, nous pouvons comparer la ville à un être vivant : elle est complexe et possède son propre métabolisme, né de l’interaction de multiples systèmes qui la constituent. En conséquence, elle est aussi très fragile et c’est lors de violentes et soudaines crises que nous nous rappelons cette caractéristique. À l’âge de la multitude, en ces temps ubiquitaires quand de profonds changements s’opèrent dans la géopolitique des nations, s’imbriquent l’histoire de la ville, sa gouvernance, ainsi que son rôle face aux États. S’intéresser à l’intelligence de la ville, c’est avant tout s’intéresser à son d’identité, à ses traits socioéconomiques, culturels, écologiques propres et aux exigences de plus en plus fortes de ses citoyens vis-à-vis de la gouvernance : mobilité ; sécurité ; logement social ; enjeux énergétiques ; foncier ; réseaux ; infrastructures ; espaces publics ; économie de proximité ; culture ; loisirs ; fiscalité et attractivité.
Au coeur se trouve la qualité de vie des habitants. L’urbanisation croissante, la montée en puissance des urbains, l’augmentation des besoins à satisfaire en lien avec l’explosion démographique, ainsi que la pression due à la diminution des ressources, et aussi les fractures socio-économiques visibles dans le tissu social engendrent une complexité des villes. Celle-ci génère de sérieuses difficultés : de larges franges de populations urbaines vivent de plus en plus dans la pauvreté et la précarité.
L’urbanisation, des villes-monde et des transcriptions
Aujourd’hui, la planète a dépassé les 7 milliards d’habitants et, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, plus de 50 % de la population vit dans des villes ; en Europe, le chiffre atteint 77 %. En 2030, sur 8,3 milliards de personnes, on estime que près de 5 milliards vivront dans des zones urbaines. Quelque 12 % de la population mondiale habitent aujourd’hui dans 28 villes, 140 villes concentrent aujourd’hui 44 % du PIB en Europe et à l’horizon 2030, 750 villes porteront 60 % du PIB mondial. En même temps, nous devons intégrer que le monde bascule vers un axe urbain Est et Sud si l’on tient compte des 90 % de la croissance mondiale urbaine qui se situent en Afrique et en Asie, alors que plus d’un tiers de la population mondiale se concentre dans seulement trois pays : l’Inde, la Chine et le Nigeria, dans lesquels va croître, dans les trente prochaines années, une population urbaine équivalente à une fois et demie l’Europe.
La croissance exponentielle des villes consomme des ressources, fragilisant encore plus un environnement déjà considérablement affecté. De nouveaux besoins vitaux s’imposent sur le plan alimentaire, sanitaire, climatique, de la mobilité, etc., exigeant de nouvelles réponses dans ces contextes de forte évolution, où la nature se trouve plus que jamais menacée. Il s’avère également pertinent d’envisager les ruptures nécessaires, afin d’élaborer d’autres paradigmes en matière de conception et de transformation de la vie en ville, impulsés par l’innovation.
Parallèlement, avec la révolution ubiquitaire, le monde a dépassé le chiffre de 5 milliards d’appareils connectés et, en 2020, leur nombre devrait avoir triplé. Les relations entre les personnes, indépendamment de leurs habitats, us et coutumes et de la région de la planète où elles vivent, ont été profondément modifiées par l’instantanéité des échanges permise par cette présence ubiquitaire. Les nouvelles technologies impriment profondément et durablement leur marque dans l’environnement immédiat de la vie quotidienne de chacun.
Parmi les 17 objectifs du développement durable (ODD) fixés par l’ONU cette année, le numéro 11 nous rappelle le besoin impératif de « faire en sorte que les villes et les établissements humains soient ouverts à tous, sûrs, résilients et durables ». Le Nouvel agenda urbain décidé il y a quelques semaines à la Conférence Habitat III à Quito met l’accent sur la priorité à l’inclusion sociale et le droit à la ville pour tous, avec l’accès aux besoins essentiels de vie et à la démocratie participative pour promouvoir des villes équitables et pour la vie. L’engagement très fort des gouvernements locaux et des maires a montré que leurs réseaux internationaux sont un élément clé. Les villes sont au coeur de la solution, et elles sont la colonne vertébrale des actions de transformation.
La ville que nous voulons
La ville est à la croisée entre une multitude de besoins et d’usages sociétaux. Les enjeux d’innovation sociale, urbaine et technologique concernent nos vies au quotidien autour des questions telles que l’habitat, la mobilité, l’éducation, le travail et les soins. Comment faire la jonction entre le « bien vivre », le « bien loger », la mobilité, et le lieu de travail ? Est-il réellement nécessaire, par exemple, de se déplacer autant pour travailler, pour apprendre, ou pour se soigner ? Quel lien entre l’habitant, son centre-ville, sa périphérie ? Les services publics, l’offre privée ? Ces enjeux aboutissent à des transformations réelles de notre mode de vie, et de nos relations professionnelles, ainsi qu’à des transformations sociales et urbaines, traversées et amplifiées par l’impact de la révolution technologique. La question de la gestion de l’énergie, de la création de logements énergétiquement efficaces, de la mobilité verte, de la sécurité, de la santé personnalisée et de l’accès à la culture se pose ici avec force. Et, à travers ces réflexions, c’est une véritable ville transverse, vivante, décloisonnée, qui va se dessiner sous nos yeux, quand nous parlons d’une ville inclusive, résiliente, durable ayant comme moteur l’innovation.
Mais seule une ville qui place le citoyen au centre de ses préoccupations est à même de répondre aux nombreux défis de notre avenir urbain. Elle se construit autour du citoyen, sur un territoire qui lui est propre. En effet, ce qui est vrai à Paris n’est pas forcément vrai à Rio, Sidney ou Lagos. D’où le besoin également de l’identité du citoyen dans son territoire.
Il n’y a pas de modèles de villes, il n’y a que des sources d’inspiration. L’hyperconnectivité urbaine doit avant tout permettre au citoyen d’être socialement novateur, d’être fier de vivre dans sa ville et d’inventer de nouvelles formes de lien social. À côté de la révolution numérique, deux autres leviers sont indispensables : la réinvention urbaine et l’inclusion sociale.
Au-delà de la technologie
Considérer que la ville serait intelligente en développant des solutions fortement technologiques, et que ces dernières apporteraient des solutions à des problèmes complexes, sans impliquer les citoyens, conduit à une impasse. D’autant plus que les citoyens d’aujourd’hui disposent de moyens techniques pour s’informer et se mobiliser au quotidien. Via les réseaux sociaux, il est possible de rassembler dans la rue des centaines de milliers de personnes en quelques heures à peine. A contrario, l’intelligence urbaine et les nouveaux usages citoyens, démultipliés par les réseaux sociaux et les nouvelles technologies, permettent de faire émerger de nouvelles initiatives pour s’impliquer dans le changement. Les rapports entre administrés et gouvernements changent sous l’effet de ces technologies, tandis que la gouvernance et la manière de faire de la politique changent aussi. Il y a clairement une évolution par rapport à la démocratie représentative traditionnelle. Donner du sens à la ville – à l’heure de la transition énergétique, des énergies décentralisées, des nouvelles mobilités, du développement de circuits courts, de villes irrespirables par la pollution -, est avant tout un fait social. Sans cette mise en cohérence, nous allons nous couper de l’adhésion citoyenne indispensable pour opérer un changement de fond, car le coeur de la valeur est dans les usages, dans la création de valeur sociale ; il n’est pas dans la technologie elle-même.
Parce que la ville est un laboratoire à ciel ouvert exceptionnel d’idées et d’expériences, il est indispensable de prendre conscience de l’enjeu majeur de proposer de nouveaux usages et services urbains. Un nouveau monde urbain émerge à la croisée entre l’urbanisme, la sociologie, l’architecture, l’économie, les technologies et plus largement toute la connaissance transdisciplinaire et systémique qui contribue à forger ces nouveaux paradigmes.
Une ville intelligente car humaine, inclusive, résiliente et durable
La ville intelligente, inclusive et humaine est avant tout un territoire où se construisent services, usages et un bien commun qui répondent aux besoins fondamentaux de ses habitants et à leur quête de bien-être. La ville étant un territoire de vie et de rencontres, au XXIe siècle la convergence des usages sociaux, des technologies ubiquitaires et les nouveaux modèles autour du partage vont faire émerger de nouvelles expériences de vie et donnent naissance à des usages et services inédits dans tous les domaines.
Autopartage, mobilité multimodale, énergies décentralisées, valorisation du patrimoine, espaces publics urbains de convivialité, santé publique personnalisée, meilleure qualité de vie pour le troisième et le quatrième âge, éducation de masse en ligne, espaces ouverts de culture, d’art et de loisirs, démocratie participative sous des systèmes de gouvernance ouverts, systèmes d’information collaboratifs… voilà quelques exemples de services qui sont en train de naître aujourd’hui et qui feront de la ville de demain une ville vivante, combinant l’intelligence urbaine, l’inclusion sociale, la résilience et l’innovation technologique.
La ville pour tous, enjeu de notre avenir urbain
En ce début de XXIe siècle, la convergence d’un monde majoritairement urbanisé avec l’hyperconnectivité est venue bouleverser la manière de vivre dans nos villes. Celles-ci sont aujourd’hui au coeur de notre devenir. L’urbanisation croissante, l’augmentation des besoins à satisfaire en lien avec l’explosion démographique, le climat, la diminution des ressources, les enjeux d’habitat, la mobilité et l’énergie, mais également les fractures socio-économiques visibles dans le tissu social, font apparaître partout dans le monde d’aujourd’hui une très grande vulnérabilité urbaine. L’exclusion sociale est l’expression humaine de la fragilité de nos territoires, et c’est notre défi.
Plus que jamais l’innovation, sous toutes ses formes, doit être au service du citoyen pour faire de la ville un lieu de vie, de brassage, d’inclusion et de partage. La ville intelligente est d’abord humaine, vivante, accueillante.