Arrivée au pouvoir en 2005, la gauche uruguayenne a conduit une politique énergétique volontariste pour produire plus d’électricité à bas coût. Comment ? Par le recours aux énergies renouvelables. Aujourd’hui, le pays est reconnu comme l’un des leaders du secteur. Le WWF l’a distingué dans son top 5 des pays producteurs d’énergies vertes en Amérique latine. Pourtant, c’est moins les préoccupations environnementales que le pragmatisme économique qui a guidé les choix du gouvernement. Analyse.
Avec à peine plus de trois millions d’habitants, l’Uruguay passe inaperçu. Pourtant, ce pays d’Amérique du Sud se distingue sur la scène internationale depuis l’accession de la gauche au pouvoir en 2005, avec des lois progressistes sur l’avortement, le mariage homosexuel ou la légalisation du cannabis.
Concernant l’énergie, le pays a fait le choix du renouvelable : plus de 80% de son électricité provient des énergies renouvelables, qui représentent plus de la moitié du mix énergétique national. La politique énergétique du gouvernement de Montevideo a été largement saluée, notamment par le WWF, qui classe l’Uruguay dans son top 5 des pays leaders en énergie renouvelable en Amérique latine.
L’importance du renouvelable n’est pas nouvelle. L’énergie hydraulique produite par des grands barrages a longtemps couvert la majorité des besoins électriques du pays. Mais éolien, biomasse et solaire viennent aujourd’hui s’ajouter aux ressources énergétiques nationales.
Le boom de l’éolien
Le pays étant balayé par des vents réguliers, le gouvernement mise en particulier sur l’éolien. En l’espace de quelques années, il a ainsi contracté avec des entreprises internationales la production de 1200 Mégawatt (MW) d’énergie éolienne, soit l’équivalent d’une tranche nucléaire. Et la part de l’éolien devrait atteindre 38% de l’électricité d’ici 2017.
L’entreprise française Akuo Energy a décroché deux appels d’offre en Uruguay. Olivier Leruste, responsable du financement de projets de l’entreprise, décrit “l’approche très pragmatique” du gouvernement pour garantir la venue des entrepreneurs et des investisseurs étrangers, tout en faisant baisser les prix. “Le contexte règlementaire est très favorable”, explique Olivier Leruste : un prix de rachat garanti pour 20 ans, quelle que soit l’énergie livrée, et un cadre juridique permettant un recours contre l’État s’il se désengage.
Le gouvernement a aussi su faire jouer la forte concurrence internationale pour faire baisser les prix, qui tombent de 90 $/MW pour les premiers appels d’offre à 65 $/MW aujourd’hui. “L’Uruguay est un cas exemplaire pour être en mesure de proposer une énergie renouvelable à un coût aussi compétitif. A titre de comparaison, l’énergie nucléaire nouvelle génération est deux fois plus chère”, souligne Olivier Leruste.
Moins spectaculaire, car à plus petite échelle, la politique concernant l’énergie solaire est également volontariste. Plus de 17 mesures favorisent le recours aux technologies solaires et doivent améliorer l’accès à l’électricité de la population. Par exemple, l’installation à grande échelle de chauffe-eau solaires individuels, qui représentent un tiers de la consommation des ménages, doit permettre une baisse de 15 à 20% de leur facture électrique. Selon les analystes, la politique énergétique de la gauche uruguayenne repose sur un projet national de souveraineté et de développement économique. La production nationale d’énergie doit en effet garantir à la fois l’accès à une énergie bon marché et répondre aux besoins des futurs projets industriels.
La biomasse : 30% du mix énergétique
Le recours à de nouvelles énergies renouvelables améliore en particulier l’autonomie énergétique du pays lors des sècheresses. Pendant ces périodes, récurrentes, le niveau des barrages ne permet pas d’assurer le fonctionnement des centrales hydroélectriques et l’électricité importée (en particulier le gaz argentin) peut être quatre fois plus chère.
L’énergie est aussi un facteur limitant pour le développement industriel. “La principale industrie du territoire Uruguayen est l’industrie de la pâte à papier. Elle est aussi la première consommatrice d’énergie. Elle a pu se développer grâce à son autosuffisance énergétique : l’énergie est produite à partir de chaudières alimentées par des résidus de bois”, explique Pierre Gautreau, géographe spécialiste de l’Uruguay à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Le développement de l’industrie papetière a ainsi contribué à augmenter la part du renouvelable dans le mix énergétique : la biomasse représente aujourd’hui 30% de l’énergie primaire produite dans le pays.
“Ce gouvernement réactive également les politiques de développement rural”, explique Pierre Gautreau. Avec le souci d’électrifier les endroits les plus reculés et d’atteindre 100% d’électrification dans les prochaines années.“Dans des campagnes très isolées, j’ai pu voir des fermes dotées d’un équipement pilote (panneaux solaires, éolienne domestique), qui leur permet d’être autosuffisantes en électricité et même d’avoir une alimentation en 220 volt pour faire fonctionner un congélateur”, raconte le chercheur.
La question environnementale est secondaire
Ainsi, le développement des énergies renouvelables en Uruguay est moins guidé par un projet d’économie décarbonnée que par un pragmatisme économique. Selon plusieurs observateurs, quand la gauche est arrivée au pouvoir, la question environnementale était secondaire. “Le gouvernement déçoit beaucoup les organisations environnementales, à cause des plantations d’eucalyptus et de pins (un million d’hectares plantés) et de la monoculture de soja OGM”, souligne d’ailleurs Pierre Gautreau. Et pour cause : le gouvernement a bénéficié du boom sur le prix des matières premières (produits agricoles et de bois), et donc des recettes correspondantes, pour financer sa politique de développement. Ce qui n’a pas empêché l’Uruguay d’arriver à la COP 21 avec l’un des engagements nationaux les plus ambitieux : réduire de 88 % ses émissions d’ici 2017, comparé à la moyenne 2009-13.
Source : Magali Reinert pour Novethic