Fondée en 2001 aux Etats-Unis, TerraCycle a décidé qu’elle collecterait depuis les sachets de chips jusqu’aux mégots en passant par les couches pour bébés. Bref, tous ces déchets dont on nous laisse croire qu’ils ne sont pas recyclables. Aujourd’hui, l’entreprise de Tom Skazy est présente dans 20 pays, dont la France, et compte sur plus de 60 millions de personnes participant aux collectes.
Bénéfique pour la planète, l’industrie du recyclage est néanmoins gouvernée par le critère de la rentabilité: seuls seront recyclés les déchets qui en valent le coup. Si la valeur des matériaux qui les constituent est inférieure aux coûts de la collecte et de la transformation, le marché n’en aura pas pitié: ils partiront inexorablement à la décharge ou à l’incinérateur. C’est le cas de tous les produits bannis des réseaux de tri de nos villes, que beaucoup d’entre nous croient techniquement non recyclables et qui, en réalité, ne le sont qu’économiquement.
Une entreprise américaine, TerraCycle, défie cette limite. Fondée en 2001 par un étudiant en première année à l’Université de Princeton, elle s’est attaquée au vaste continent des déchets “non-recyclables”, en devenant le leader mondial de leur traitement. Si elle a maintenu son siège social à Trenton, dans le New Jersey, elle est aujourd’hui présente dans 20 pays, dont la France. “Tout Français pourrait avoir déjà touché, sans le savoir, un objet fabriqué à partir de matériaux recyclés par nos soins”, faisait remarquer Tom Szaky à La Tribune lors d’un passage à Paris en 2015.
Couches pour bébés, sacs de chips et mégots
Le système mis en place par TerraCycle, qui dit poursuivre l’élimination même de la notion de déchet, s’appuie sur l’implication des fabricants, qui financent des programmes de recyclage gratuits de leurs produits, ainsi que des consommateurs, qui mettent en place et alimentent des points de collecte. Les premiers sont rémunérés en termes de réputation et donc, souvent, de parts de marché. Les deuxièmes (plus de 60 millions de personnes à ce jour) sont récompenses par un système de points leur permettant de reverser de l’argent (plus de 15 millions de dollars jusqu’à présent) à des ONG.
Des sachets de chips aux couches pour bébés voire aux mégots, l’entreprise se targue de traiter toutes sortes de déchets, en explorant avec créativité toutes les options offertes par les trois piliers de l’économie circulaire: la réutilisation d’abord puis, si ce n’est pas possible, le upcycling (en cousant par exemple des sachets de bonbons pour faire des sacs à mains) et ensuite le recyclage – qui, en termes de volume, représente néanmoins plus de 97% des déchets issus des collectes. En France, des marques comme L’Occitane en Provence, Melvita, Materne, BIC, ou encore St Michel et Lipton y font recours. Des municipalités du monde entier ont également signé des partenariats avec l’entreprise.
Au départ, le lombricompostage
Lorsque TerraCycle est née, Tom Skazy (photo ci-contre) n’était pourtant pas un militant environnementaliste aguerri. Il voulait surtout “créer une entreprise cool”, et s’est intéressé aux déchets essentiellement “en raison de leur valeur économique négative (les gens paient pour s’en débarrasser)”, admet-il. L’idée est venue en constatant chez des amis l’efficacité de l’engrais naturel produit par des vers de terre se nourrissant de restes de nourriture… et pendant quelques années l’activité de l’entreprise a d’ailleurs tourné autour du lombricompostage.
Ce n’est qu’après nombre de galères – racontées avec beaucoup d’humour par l’entrepreneur dans son livre Revolution in a bottle – que l’entreprise commence à prendre son envol grâce à un premier gros contrat signé en 2005 avec le distributeur américain WalMart. C’est à ce moment aussi qu’elle commence à collecter des bouteilles usagées pour conditionner ses engrais. En 2007, TerraCycle commencera à étendre son programme de upcycling et recyclage, définissant ainsi au fur et à mesure ses nouveaux marché et identité. Elle commencera à s’internationaliser en 2009 et recevra quelques centaines de prix pour sa démarche d’entrepreneuriat durable.
Approche économique, vision radicale
Pionnier du mouvement éco-capitalistique, créateur – tel que le définit l’activiste Paul Hawken dans la préface de Revolution in a bottle – “d’une nouvelle catégorie d’actifs, l’industrie du non-recyclable”, Tom Szaky n’a jamais perdu de vue la logique économique. “Il ne suffit pas d’offrir un choix écologique à un prix premium; l’objectif est de créer des produits écologiques à des prix compétitifs”, observe-t-il d’ailleurs dans son livre. Mais en tant qu’écrivain et citoyen, il révèle une vision bien plus radicale, avouant que la réponse aux problèmes causés par l’excès de déchets des temps modernes ne peut pas consister dans le recyclage: “Nous ne sommes que le cachet contre le mal de tête”, confie-t-il à La Tribune.
“La vraie cause du mal à la tête, c’est la consommation, dont les déchets ne sont qu’un indicateur”, estime-t-il. Tom Szaky, qui a vécu jusqu’à ses 4 ans dans la Hongrie communiste (avant d’émigrer au Canada), en est en effet conscient: “Nous sommes dépendants de la consommation, nos grands-parents achetaient dix fois moins”. Durant les 100 dernières années, la quantité de déchets produits par l’humanité a augmenté de près de 10.000%, s’alarme-t-il notamment dans son deuxième ouvrage, Outsmart Waste.
Réorienter ses désirs
Mais vaine est selon lui l’attente de solutions venant du haut. A moins d’être soumises à des règles attribuant une valeur économique aux externalités, les entreprises ne pourront que continuer de remplir leur mission naturelle: satisfaire nos envies. Quant aux politiques, puisqu’ils représentent les gens et leurs désirs, il ne seront pas non plus les acteurs du changement. L’hyper-consommation trouve en effet sa seule source selon lui dans les désirs humains, incontrôlables comme pour toute espèce animale: “Si vous mettez une souris devant du sucre, elle en mangera jusqu’à en mourir”, observe-t-il. Mais que la nature nous obligera à réorienter.
Le changement est donc à ses yeux une responsabilité individuelle. “Les déchets sont l’un des rares exemples de problèmes environnementaux sur lequel, en tant qu’individus, nous avons un énorme contrôle”, écrit-il. Puisque “nous votons pour un produit à chaque fois que nous l’achetons”, il s’agit d'”acheter consciencieusement, acheter durable, acheter d’occasion, ou tout simplement ne pas acheter du tout”: une démarche difficile pour lui-même mais qu’il tente d’appliquer.
Pas de concurrents
Il faudrait aussi, confie Tom Szaky à La Tribune, “plus de gens travaillant pour ce qu’ils aiment. S’ils gagnent moins, ce sera tant de gagné: ils consommeront moins”. Dans sa philosophie du business, l’objectif doit être en effet d’offrir un service. Le profit ne devrait intervenir que comme indicateur, puisque le poursuivre en tant que tel pousse à des choix dangereux pour l’environnement.
Les coûts de cette approche il les a payés personnellement lorsque, en 2003, il a refusé un million de dollars proposé par des investisseurs qui souhaitent détourner l’entreprise du secteur des déchets. Il n’empêche qu’en se concentrant sur le seul objectif de ne pas perdre d’argent, TerraCycle a réussi à croître, s’enorgueillit l’entrepreneur, qui affirme réinvestir les profits dans la recherche et dans la baisse des prix. Tout en se disant “plus optimiste aujourd’hui qu’il y a dix ans car quelque chose chez les jeunes est en train de changer”, il exprime néanmoins un regret: TerraCycle n’a pas de vrais concurrents.“Les start-up dans les green-techs ne sont décidément pas encore assez”.