En 2050, nous devrions être 10 milliards à vivre sur terre, dont une vaste majorité de citadins. Pour anticiper les défis que ne manqueront pas de poser l’accroissement de la population urbaine et les crises agricoles liées au réchauffement climatique, de nombreuses villes ambitionnent de devenir autosuffisantes en alimentation par le biais de l’agriculture urbaine.
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Le rêve de la ville autosuffisante
L’idée n’est pas nouvelle ; elle est même millénaire. Les mythiques jardins suspendus de Babylone, s’ils ont existé un jour, devaient produire leur part de dattes et d’abricots. Mais c’est cependant aux campagnes qu’a échu pendant des siècles la responsabilité de nourrir les villes. Ce n’est qu’à la fin des années 1970, probablement à la faveur du mouvement hippie, que l’agriculture urbaine est consacrée en tant que telle. Le terme d’urbaculture voit le jour.
Quarante ans plus tard, la pratique a survécu aux utopies qui l’accompagnaient alors ; en 2014, l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation (FAO) estimait que l’agriculture urbaine et périurbaine nourrissait près d’un quart de la population mondiale. Face à l’appauvrissement des sols ruraux, à la concentration des populations et aux crises écologiques, l’urbaculture se présente comme un moyen d’assurer l’autosuffisance et donc la résilience future des villes.
Des approches et des besoins radicalement différents
Aujourd’hui, on observe cependant entre les villes des pays développés et celles des pays dits “du Sud” un décalage dans les raisons qui poussent à la pratique de l’agriculture urbaine.
Au Canada, Vancouver se targue ainsi d’avoir accueilli 300 arbres fruitiers — un total un peu léger pour une ville de plus de 600 000 habitants. En France, si le CNRS identifie des usages divers des “jardins productifs urbains” pouvant aller “du simple loisir à une réelle activité commerciale en passant par (des) projet(s) visant à restaurer du lien social.”, le retour à la “nature nourricière” observé relève plus de l’effet de mode que d’un réel besoin alimentaire. Pour le moment du moins. À Albi, en effet, on va plus loin. La municipalité a mis en place un plan d’attribution de parcelles urbaines à des maraîchers dans le but de parvenir à l’autosuffisance alimentaire d’ici 2020.
Le projet albigeois s’approche plus de ce qu’on peut observer dans les métropoles des pays en voie de développement, où l’agriculture urbaine est véritablement nourricière. Ainsi en Colombie, où la capitale Bogota ne compte pas moins de 10 000 agriculteurs récoltants le fruit (et les légumes) de potagers individuels ou de jardins partagés. Ainsi à Cuba, où plus de 50 % des produits frais consommés par les habitants de La Havane sont cultivés sur place.
Mais au Nord comme au Sud on innove pour s’adapter aux contraintes de la ville ; et particulièrement à la plus limitante d’entre elles, l’espace.
La verticalité comme réponse à la densité urbaine ?
Dans des paysages urbains saturés où chaque mètre carré est rentabilisé et vaut son pesant d’or, l’un des principaux défi de l’urbaculture est de maximiser ses rendements tout en prenant le moins de place possible au sol. Assez logiquement, la piste la plus poursuivie est donc celle de la culture hors-sol. Si une plante n’a pas besoin de plonger ses racines dans la terre pour se nourrir, on peut la faire grandir à peu près n’importe où – et ainsi empiler des plateaux et des plateaux de plantes cultivées hors-sol dans de gigantesques fermes verticales.
L’hydroponie, forme la plus ancienne de culture hors sol, est une technique qui consiste à enraciner les plantes cultivées dans un substrat neutre (sable, argile, laine de roche) régulièrement irrigué par une eau chargée en sels minéraux et nutriments. À Kyoto, l’entreprise Nuvege a ainsi développé une ferme verticale hydroponique capable de produire jusqu’à 12 000 laitues par jour sur de grandes étagères mobiles.
À Chicago, l’entrepreneur et urbaniste Johan Edel a réhabilité de vieux entrepôts et immeubles délaissés et les a transformés en fermes verticales utilisant une technique proche mais encore plus révolutionnaire : l’aéroponie. Ici, pas de substrat : les racines des plantes cultivées pendent dans le vide et sont “nourries” par vaporisation de la solution nutritive. De cette façon, il est possible de maîtriser avec une précision inégalée l’humidité, le pH et la concentration en minéraux de l’environnement de croissance de la plante pour une croissance optimale.
Plus complet en matière d’alimentation mais moins mobile, l’aquaponie met en symbiose un élevage de poisson et une culture végétale hydroponique. Les plantes sont arrosées avec de l’eau provenant de l’aquarium et se nourrissent des minéraux présents dans les déjections des poissons. Puis, une fois filtrée et propre, l’eau retourne à l’aquarium. Pour alimenter le cycle, il suffit de nourrir les poissons. le designer français Damien Chivialle a imaginé un dispositif appelé “Urban Farm Unit” (UFU), ou unité de ferme urbaine, un container vertical alliant un aquarium et jusqu’à 160 plants végétaux, pouvant nourrir une soixantaine de personnes.
Attention cependant à ne pas crier à la solution miracle. De nombreuses plantes à la base de notre alimentation, comme la pomme de terre, ne peuvent pousser à l’air libre ou dans un substrat. La terre n’a donc pas dit son dernier mot. Et les campagnes non plus.