Aujourd’hui, les entreprises regorgent d’équipements électriques en tout genre (ordinateurs, réseaux, équipements divers…)… Et si on prenait enfin en charge la gestion de ces équipements, qui partent encore bien trop souvent à la poubelle alors qu’ils fonctionnent encore ? Et si on arrêtait le grand gaspillage en mettant en place une vraie stratégie de réutilisation et de réemploi ? C’est l’idée avancée par certains experts. Décryptage.
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L’économie du 21ème siècle sera celle du digital ou ne sera pas. C’est en tout cas ce que l’on peut croire quand on regarde les tendances actuelles dans les entreprises. Les start-up et entreprises qui marchent ? Ce sont celles des transformations digitales, des réseaux sociaux, des nouveaux services informatisés à la Uber. Les secteurs les plus dynamiques de l’économie ? Sans aucun doute le digital, les télécoms, internet. Si l’on en croit les chiffres, Internet représente à lui seul 3% du PIB français. Les télécoms à eux seuls représentent 300 000 emplois directs et indirects, et 100 milliards d’investissements prévus sur les 15 prochaines années. Dans tous les secteurs, les activités passent désormais par le digital, l’informatique, les équipements connectés et autres équipements électroniques.
Alors bien sûr, pour accompagner cette révolution numérique, électronique et informatique, les entreprises doivent s’équiper : ordinateurs, téléphones, réseaux, serveurs, équipements électriques en tout genre ont littéralement envahi toutes les organisations, des plus petites entreprises aux plus grandes, en passant par les administrations, les collectivités, et les associations. Et bien entendu, tous ces équipements représentent énormément de ressources, de matériaux et de composants. Un ordinateur représente en moyenne 473 kg de CO2 émis dans l’atmosphère et 3500 litres d’eau utilisés, 1 kg de plastique ou encore 1,5 kg de minerais extraits de la nature. Une barrette de mémoire de 2g nécessite l’utilisation de près de 32 kg de matières premières (soit un rapport de 1 à 16 000).
Qu’advient-il des équipements électriques et électroniques (EEE) des entreprises ?
Le seul problème, c’est qu’à l’heure actuelle, la gestion de ces équipements pose de nombreuses questions. Ainsi, dans les entreprises, les ordinateurs sont remplacés en moyenne tous les 4 ans. Les équipements électriques et électroniques sont régulièrement remplacés, rachetés, pour se mettre aux normes du marché et avoir des produits plus compétitifs en termes de performance. Résultats, la vente de ces équipements ne cesse d’augmenter chaque année : en 2014, 74,9 millions d’équipements (230 000 tonnes environ) ont été mis sur le marché à destination des professionnels, soit +18 % par rapport à 2013. Et évidemment, les déchets électriques et électroniques, eux aussi augmentent : en 2014 ce sont près de 30 000 tonnes de déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE) professionnels qui ont été traitées en France, soit pratiquement 23% d’augmentation par rapport à 2013.
La plupart de ces équipements électriques et électroniques sont aujourd’hui recyclés. Selon l’ADEME, 74% des EEE (équipements électriques et électroniques) sont aujourd’hui recyclés. 7% sont tout simplement détruits, et 5% sont utilisés pour faire de la valorisation énergétique. Une grande partie des déchets électriques et électroniques terminent également en Afrique (illégalement) où ils sont démantelés à bas prix…
Pourtant, une grande partie de ces EEE pourraient être utilisés après leur “première vie” dans une entreprise : ils pourraient être reconditionnés et remis sur le marché secondaire, réparés et entretenus pour être confié à des associations, ou tout simplement réutilisés ailleurs. En termes environnementaux, cela serait nettement plus intéressant que de recycler ou détruire ces équipements qui la plupart du temps sont encore fonctionnels.
Pourtant, à l’heure actuelle, 1% seulement des équipements électriques des entreprises sont réutilisés, et à peine 13% sont envoyés en préparation pour un réemploi. Et tous ces équipements représentent un gisement important pour l’économie circulaire.
Et si on réutilisait les équipements électriques et électroniques ?
Pour faire des économies de ressources, favoriser l’économie circulaire et créer des emplois, on pourrait tout simplement améliorer la gestion de ces équipements. Et si, plutôt que de jeter ou de recycler ces ordinateurs encore fonctionnels, ils étaient réutilisés ? En France, il existe une fillière de réemploi et de réutilisation : des organismes qui peuvent se charger de récuperer ces équipements dans les entreprises afin de les reconditionner, de les remettre en Etat et de les redistribuer à d’autres acteurs (soit via une revente sur le marché de l’occasion, soit en fournissant des associations…).
Pour se rendre compte de l’intérêt d’un tel système d’un point de vue environnemental, social et économique, le Club Green IT (réunissant des entreprises et des experts qui veulent améliorer l’impact environnemental de leurs activités numériques) a mené l’enquête. Jean-Christophe Chaussat, Frédéric Bordage et Sophie Coplain, auteurs du rapport du Club Green IT sur le sujet, ont cherché à savoir ce que pourrait rapporter la mise en place d’une vraie filière de réemploi et un vrai marché de l’occasion des équipements électriques et électroniques des entreprises.
Ils estiment ainsi si le CAC40 mettait en place un programme dédié permettant de réutiliser ou réemployer ne serait-ce que 60% de leurs équipements électriques et électroniques, cela contribuerait à :
- Éviter 50 240 tonnes équivalent CO2
- Économiser 373 millions de litres d’eau
- Économiser 106 tonnes de plastique, 36 tonnes de verre, 158 tonnes de mineraix, 11 kg d’or, 47 kg d’argent…
- Créer 89 emplois stables, non délocalisables
SI l’on étendait cette question à l’ensemble de l’économie française, avec ses 26.6 millions de salariés, on pourrait aller encore plus loin. Les bénéfices seraient alors de près de 811 000 tonnes équivalent CO2 évitées, 6 milliards de litres d’eau, 1700 tonnes de plastique, 583 tonnes de verre, 2555 tonnes de minerais. Et cela contribuerait à créer pratiquement 1500 emplois stables et non délocalisables. Et si l’Europe entière mettait en place une telle filière intégrée, ce seraient potentiellement des économies de CO2 et de ressources 7 fois plus importantes et 10 000 emplois créés à la clef !
Une filière à développer pour favoriser le réemploi et l’économie circulaire
Voilà une mesure plutôt simple à mettre en place, car la filière existe déjà ! Des éco-organismes comme EcoLogic sont déjà chargés de la collecte et de la réutilisation des EEE. Il existe des acteurs de l’ESS comme les Ateliers du Bocage ou les Ateliers sans Frontières qui ont mis en place un vrai processus industriel, reconnu et contrôlé qui permet de reconditionner et de valoriser les EEE qui sortent chaque année des entreprises. En plus de créer des emplois auprès de publics souvent fragilisés, ces organismes favorisent l’économie circulaire et l’inclusion numérique, en redistribuant les ordinateurs reconditionnés de façon transparente et solidaire, à des associations ou des organisations dans le besoin.
Avec une meilleure information des parties prenantes et un peu de volonté de la part de tous les acteurs (notamment les entreprises) il serait possible de structurer durablement une telle filière pour transformer ce gisement inexploité en véritable ressource pour l’économie circulaire.