Derrière la mairie de Rieulay, un bourg rural du Nord, se faufile un chemin discret. A peine quelques mètres plus loin, passé un rideau d’arbres, le visiteur est subitement transporté dans un autre univers : cent quarante hectares de nature vivante s’ouvrent à lui, s’offrent aux oiseaux surtout.
vu sur :
Une colonie de grands cormorans a élu domicile sur l’île au milieu d’un vaste étang, des foulques macroules se croisent entre les roseaux, un cygne s’envole, suivi d’oies bernaches du Canada, un gros lapin traverse le chemin. En ce matin lumineux, le site des Argales bruisse du piaillement de mésanges, de plaintes des canards, colverts et fuligules morillons.
Difficile d’imaginer le paysage chaotique, entièrement minéral et nu qui prévalait en ces lieux quelques années plus tôt. Rieulay abritait le plus vaste terril de la région. La commune n’avait aucun puits de mine, mais disposait de marais sur lesquels l’industrie déversait des monceaux de schiste et de grès remontés des fonds noirs et acheminés par voie ferrée.
Champs de cailloux en héritage
L’épopée du charbon lui avait laissé en héritage d’immenses champs de cailloux, comblant ses zones humides. Aujourd’hui, elle accueille une base de loisirs, un étang de pêche, une réserve ornithologique, une piste cavalière… Une renaissance au goût de revanche sur un temps où les Houillères du Bassin du Nord-Pas-de-Calais faisaient travailler jusqu’à 220 000 personnes dans le bassin minier, décidant des hommes comme des paysages. Quelque 700 millions de tonnes de déblais formant des collines ou des plateaux ont été remontées à la surface.
« Avant notre intervention, tout était noir ici, et il n’y avait pas un seul oiseau, confirme Guillaume Lemoine, qui a piloté la requalification du terril des Argales à son lancement il y a vingt ans. Nous sommes dans une logique de recréation de la nature.On a planté des milliers d’arbres, puis les reptiles, les amphibiens, les papillons, des plantes pas forcément originaires du coin sont arrivées. »
Guillaume Lemoine est l’écologue, le garant de la biodiversité de l’Etablissement public foncier (EPF) du Nord-Pas-de-Calais, un organisme d’Etat au service des collectivités locales, qui achète, dépollue, puis cède à prix accessible des terrains prêts à être recyclés, parfois pour un euro symbolique.
Une colline entrée en combustion
En 2002, douze ans après la fermeture de la dernière mine à Oignies dans le Pas-de-Calais, l’EPF a acquis l’ensemble des terrils de ce département et de celui du Nord, soit une superficie de 2 200 hectares. L’idée était de préserver une bonne partie de ces 129 monticules – dont les plus visibles, ceux de Loos-en-Gohelle, atteignent 175 mètres de haut – et de les intégrer à la trame verte et bleue de la région, autrement dit aux réseaux d’espaces consacrés à la faune et à la flore.
Sur le site de Rieulay – dont une des collines, entrée en combustion, est interdite d’accès –, on distingue le ronflement sourd de l’autoroute derrière les chants des oiseaux : dans le Nord et le Pas-de-Calais, on n’est jamais loin de tout ; la place manque pour cela. Les moindres espaces non urbanisés sont occupés par une agriculture vivante ou par des vestiges d’une économie évanouie. A peine 7 % du territoire est boisé, contre 30 % en moyenne en France métropolitaine, et la surface d’espace vert par habitant est réduite à la portion congrue.
Les deux départements regorgent en revanche de friches industrielles. Ils sont les probables champions de France en la matière : 10 000 hectares y ont été recensés. Filatures, tanneries, moulins, briqueteries, usines, abattoirs, gare ou même bâtiments des douanes… L’EPF a entrepris d’en réhabiliter plusieurs centaines. « Notre fonction principale est de permettre le renouvellement urbain et de redonner de la qualité à des espaces afin d’attirer des investisseurs », précise Frédérique Briquet, directrice générale adjointe de l’EPF.
Soif de vert
Pour mener cette entreprise colossale, l’établissement dispose d’un budget de 80 millions d’euros, abondé par une taxe de 20 euros par habitant, le maximum de ce que permet la loi. De concert avec les élus locaux qui siègent à son conseil d’administration, il a décidé de consacrer 10 % de ses moyens à étancher la soif de vert de la population – quitte à fabriquer de la nature de toutes pièces.
« Nous finançons certaines opérations de renaturation jusqu’à 80 %, c’est exceptionnel, poursuit Frédérique Briquet. Nous avons verdi le bassin minier et la vallée de la Sambre, planté 6 hectares de bois, permis la création de sentiers de randonnée… »
Pour autant, Guillaume Lemoine n’est pas du genre à se contenter d’étaler une couche de bonne terre grasse du Nord et d’y planter des peupliers, même pour satisfaire les élus locaux. Dessiner des paysages uniformes, faire pousser des espèces banales, très peu pour lui. Il a fait le choix inverse lors de la requalification des carrières de craie à ciel ouvert d’Abscon et Escaudain.
Ces exploitations qui fournissaient la chaux, en complément de la houille, aux aciéries, ont été abandonnées dans les années 1970. Elles sont devenues des hauts lieux de randonnée après un traitement spécial : les couches de calcaire créées par l’homme ont été délibérément maintenues en surface. Des dépressions ont été recreusées, des champs de cailloux conservés, plusieurs clairières aménagées au milieu des parties boisées sont entretenues par des moutons.
Sur les coteaux bien exposés sont apparus des amateurs de chaleur : pélodytes ponctués, alytes accoucheurs, crapauds calamites, tritons crêtés et autres amphibiens, des lézards des murailles et des couleuvres à collier, ainsi que des plantes méditerranéennes. Du coup, l’endroit a rejoint en 2010 la liste des zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique du ministère de l’écologie.
Mais terrils et carrières sont loin de constituer les espaces les plus complexes. Pour créer les conditions propices au développement d’un maximum de biodiversité, il faut savoir se saisir de la moindre friche, même peu engageante, même à titre provisoire. L’histoire de la déconfiture industrielle ne se lit pas que dans les paysages périurbains du Nord, elle est manifeste en pleine ville aussi.
Des bactéries pour dépolluer
Le tas de chrome de Wattrelos dans l’agglomération lilloise, par exemple. Plusieurs usines chimiques étaient installées autour de cette quarantaine d’hectares où furent déchargées des boues industrielles et entassés des résidus de phosphogypse.
Un site trop contaminé pour accueillir de nouveaux édifices, mais transformable en parc urbain à condition d’isoler les couches polluées de façon imperméable. Les bâtiments ont été détruits, des parcelles traitées notamment grâce à des bactéries, des plantes ont poussé. Des paysagistes ont imaginé un cheminement. Et l’on a bien sûr aménagé une mare pour les canards et les amphibiens.
A l’autre bout de Wattrelos, une filature a fermé ses portes, dégageant neuf hectares vacants supplémentaires. A terme, un écoquartier devrait s’y élever. « En attendant, j’ai fait semer des mélanges d’herbes, de trèfles, de sainfoins… en faisant alterner des bandes de graines différentes pour rappeler l’activité filature », détaille Guillaume Lemoine.
Cette esquisse de land art n’a pas encore atteint son apogée, qu’importe, pourvu qu’insectes et amphibiens en profitent. Il s’est retenu d’y faire creuser une mare provisoire. Si une quelconque espèce protégée venait à s’y installer, l’aménageur risquerait de voir son permis de construire remis en cause. La création de nature a ses limites.