Les pays avaient jusqu’au 1er octobre pour rendre leur copie, à moins de deux mois de la Conférence climat de Paris. Conseil de classe.
Qu’est-ce que les Etats sont prêts à faire, chez eux, pour lutter contre le changement climatique ? La question leur était posée depuis la Conférence climat de Varsovie, en 2013. Et ils avaient jusqu’à jeudi 1er octobre pour rendre leur copie à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), à moins de deux mois de la COP21, qui aura lieu à Paris en décembre.
A part quelques retardataires (les pays pétroliers, comme l’Arabie saoudite, le Qatar, l’Irak, le Koweït, le Venezuela n’ont rien envoyé pour l’instant), beaucoup ont fait connaître leurs propositions dans les temps : pour l’heure, plus de 145 pays ont mis sur la table leurs contributions prévues déterminées au niveau national (désignée sous l’acronyme anglais INDC, pour intended nationally determined contributions), sur les 196 parties signataires de la CCNUCC (195 pays et l’Union Européenne). Ce qui représente environ 85% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. «Enormément de pays se sont pris au jeu des contributions : c’est un plébiscite, souligne Laurence Tubiana, l’ambassadrice française chargée des négociations sur le changement climatique pour la COP21. On n’en attendait pas autant.»
Ces contributions, qui comprennent les engagements des Etats en matière de réduction d’émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2025 ou 2030, les ambitions en termes de transition vers les énergies renouvelables, et les moyens de mise en œuvre de ces promesses, doivent servir de pierre angulaire à l’accord de Paris. «Là, on a une vision très claire de ce qui va être mis sur la table avant la COP21, affirme Matthieu Orphelin, le porte-parole de la Fondation Nicolas Hulot. Une chose est très nette : la plupart des contributions sont sérieuses, avec des niveaux d’ambitions assez divers.»
La forme est assez hétéroclite : certains pays, notamment les plus vulnérables (Bangladesh, Philippines…), n’hésitent pas à marteler l’urgence d’agir et à raconter leur vulnérabilité face au changement climatique. D’autres sont beaucoup plus succinctes, et ne précisent pas les moyens de mise en œuvre de ces ambitions. Petit examen des INDCs, des pays cancres aux meilleurs élèves en passant par les fainéants. Pour des évaluations et des comparaisons de ces Contributions à grande échelle, voir l’appli du site spécialisé Novethic, le travail de la Fondation Nicolas Hulot avec son Thermomètre des engagements, ou du think tank World Research Institute.
Les bons élèves
Pas difficile d’identifier les bons élèves : les contributions vraiment ambitieuses n’ont pas été légion. Mais les propositions de l’Ethiopie ont été souvent saluées : le pays a annoncé en juin un objectif très ambitieux de réduction de 64% de ses émissions de gaz à effet de serre (GES) d’ici à 2030 par rapport au niveau où le conduirait la tendance actuelle, accompagné d’une forte accélération vers les énergies renouvelables.
Toujours dans le trio de tête, le Maroc, pays-hôte de la COP22 l’an prochain, a lui aussi reçu les félicitations pour sa contribution : par rapport à la tendance actuelle, le royaume s’engage à réduire de 13% ses émissions de GES d’ici à 2030. Il affirme pouvoir aller jusqu’à une baisse de 32% avec un appui financier international, via notamment le Fonds vert pour le climat, et s’engage sur une production d’électricité à 50% issue des énergies renouvelables d’ici à 2025.
Beaucoup saluent également la Contribution du Costa Rica, qui s’engage à une économie neutre en carbone d’ici à 2021, et une baisse de 25% de ses émissions de GES par rapport à 2012 et d’ici à 2030. Le tout sans conditionner cette annonce à des aides financières extérieures.«Son plan climat est sans doute le plus ambitieux d’Amérique Latine, avance Célia Gautier, du Réseau Action Climat. Il prévoit de limiter les émissions de gaz à effet de serre à 9,3 millions de tonnes de CO2 à horizon 2030, ce qui consiste en une réduction, en valeur absolue de ses émissions par rapport à 2012 (12,4 millions). Une baisse absolue, c’est un signal important quand ça vient d’un pays en développement.»
La bonne surprise est venue aussi du Brésil qui, sans être premier de la classe, a mis sur la table «des ambitions beaucoup plus fortes qu’espéré», note Matthieu Orphelin, porte-parole de la Fondation Nicolas Hulot. Le pays prévoit une baisse de 45% d’émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 par rapport à 2005, et annonce un triplement de la part des énergies renouvelables d’ici à 2030.
«Nous saluons certaines contributions particulièrement ambitieuses, comme celle du Costa-Rica, celle du Brésil et des grands émetteurs de gaz à effet de serre, a annoncé Laurence Tubiana. Les petits pays aussi ont joué le jeu. Par exemple La Gambie : c’est un tout petit pays, responsable de 0,01% des émissions de GES, et pourtant ils ont fait de leur contribution un devoir moral», qui s’engage à une réduction d’émissions de 45% d’ici à 2030.
«Au premier rang, figurent les plus vulnérables et les plus touchés, souligne Célia Gautier, du Réseau Action Climat. Ils veulent montrer que leur survie est en jeu.» Les Iles Marshalls par exemple, veulent baisser leurs émissions de GES de 54% d’ici à 2030 et être à 100% renouvelables.
«Les bons élèves des contributions nationales, c’est un groupe assez divers de pays, qui ont tous en commun d’être peu ou pas du tout responsables des changements climatiques, mais de vouloir adopter une autre forme de développement que le modèle polluant emprunté par les pays aujourd’hui industrialisés, résume Célia Gautier. De sauter la case pollution. Ils annoncent des contributions supérieures à leur responsabilité.»
Les «peut mieux faire»
C’est un peu la catégorie «ventre mou» de ces INDCs. Pas de contributions catastrophiques, mais pas franchement ambitieuses non plus, et qui se contentent un peu du minimum. On peut y ranger l’Union européenne, qui a voulu montrer l’exemple en dégainant la première sa contribution, en annonçant une baisse d’émissions de 40% d’ici à 2030. «Elle pourrait faire plus sur les renouvelables, au moins 45% alors qu’elle parle de 27%, regrette Célia Gautier. Sur les économies d’énergies, elle pourrait aussi faire 40% au lieu de 27%. Elle pourrait aller donc à moins 50% d’ici 2030. La faute aux Etats antirenouvelables ou pronucléaires, comme la Pologne.» Pour Pierre Cannet, du WWF, «l’Union européenne se voulait très ambitieuse, mais se repose sur ces acquis».
Les Etats-Unis également, pourraient être beaucoup plus ambitieux. Le deuxième plus gros émetteur de gaz à effet de serre s’est engagé à réduire ses émissions de 26 à 28% d’ici à 2025 par rapport aux niveaux de 2005, et à «faire tous les efforts possibles pour les réduire de 28%». «Il faudrait aller bien au-delà sur les transports ou l’agriculture», critique Célia Gautier, qui rajoute à la liste de ces «mous du genou» la Norvège, la Suisse ou encore le Mexique.
La Chine est plus difficile à classer. Son INDC a convaincu par certains aspects, notamment sur ces engagements dans tous les secteurs (transport, énergie, agriculture), et sa contribution financière pour les pays en développement. «La Chine a un plan très nourri, très précis, et la place des renouvelables est réelle», se félicite Pierre Cannet. Pékin entend aussi «baisser l’intensité carbone [les émissions de CO2rapportées au PIB, ndlr] de 60% à 65% par rapport à 2005» et «porter la part des énergies non fossiles dans la consommation énergétique primaire à environ 20%». Mais le premier pollueur de la planète (25% des émissions mondiales de gaz à effet de serre) «manque encore d’ambition, car il aurait dû annoncer un pic des émissions avant 2030», regrette Célia Gautier.
L’Inde, qui a rendu sa contribution avec un peu de retard ce vendredi matin, déçoit également : le 3e pollueur mondial (6% des émissions de GES) a vu ses émissions de gaz à effet de serre augmenter de 67% entre 1990 et 2012. Dans son INDC, l’Inde s’engage à réduire de 33% à 35% l’intensité carbone de son PIB d’ici à 2030, par rapport à 2005. Ce qui revient, d’après les calculs de la Fondation Nicolas Hulot, à multiplier par 2,4 ses émissions (hors puits de carbone) d’ici à 2030 par rapport à 2012. Certaines ONG, à l’instar du WWF, ont néanmoins souligné son objectif de monter à 40% la part de puissance électrique en énergie non fossile d’ici à 2030.
Les cancres, au fond à côté du radiateur
Aucune surprise du côté des plus mauvais élèves : ils sont assis au fond à côté du radiateur depuis plusieurs décennies. L’Australie, dernier pays développé à avoir rendu sa copie, prévoit de réduire d’ici à 2030 de 26 à 28% les émissions de gaz à effet de serre, par rapport à 2005. Le 13eémetteur mondial, qui maintien le charbon, énergie la plus polluante, au centre de son mix énergétique, envisage de porter la part des énergies renouvelables à 23% en 2020.
Le Canada fait également figure de cancre. Il s’est fixé une réduction de 30% d’ici à 2030 de ses émissions de gaz à effet de serre par rapport aux niveaux de 2005, et s’entête à vouloir exploiter les sables bitumineux. «Le Canada a rendu une contribution décevante compte tenu du fait qu’il est l’un des plus gros pollueurs de la planète par habitant [24,6 tonnes équivalent CO2 par habitant]»
Le Japon n’est guère plus ambitieux, qui veut remplacer le nucléaire par le charbon au lieu d’orienter le pays vers les renouvelables. Avec 9,5 tonnes équivalent CO2 par habitant, le pays a annoncé une baisse de 26% de ses émissions de GES par rapport à 2013. «La contribution japonaise n’est pas du tout à la hauteur de ce qu’on était en droit d’attendre d’un des pays les plus riches de la planète», s’est agacée la Fondation Nicolas Hulot, qui rappelle que «cette difficulté à diminuer ses émissions de GES s’explique en partie par le choix des Japonais de conserver en 2030 un mix électrique très carboné (56% de fossiles dont 26% de charbon très émetteur).»
Quant à la Russie, elle s’est engagée à baisser ses émissions de 25 à 30% d’ici à 2030 par rapport à 1990. En fait une stagnation par rapport à aujourd’hui, et une augmentation de ses émissions par habitant car la population russe diminue (aujourd’hui, 15,8 tCO2/hab). Elle fonde également cette projection en compensant avec le puits de carbone que représentent ses forêts.
«Certains pays envisagent de continuer, voire de faire pire qu’avant», regrette Pierre Cannet, du WWF. La contribution de la Turquie a particulièrement estomaqué les observateurs : son annonce de baisser ses émissions de 15% par rapport à la tendance actuelle d’ici à 2030 «revient à plus que doubler ses émissions actuelles d’ici à 2030 ! s’étrangle Matthieu Orphelin, de la Fondation Nicolas Hulot. On est loin d’un changement de trajectoire… Certains pays ne sont pas du tout à la hauteur, mais c’est particulièrement problématique pour la Turquie, qui accueille le G20 le 15 novembre juste avant le lancement de la COP21, et qui est censée encourager les pays à plus d’ambition.»
L’ambassadrice française chargée des négociations, Laurence Tubiana, n’a pas voulu livrer ses déceptions : «On ne se prononce pas sur les contributions décevantes : ce n’est pas à nous d’attribuer les mauvais points. Ensuite, ce sera à l’accord de Paris de pérenniser cette démarche, et de permettre des améliorations dans le temps de ces contributions.»
Les mauvaises notes : sur une trajectoire +2,7°C, voire +3°C
Quoi qu’il en soit, le compte n’y est pas : si on additionne toutes les contributions sur la table, «on arrive à 55,4 gigatonnes équivalent CO2», précise Matthieu Orphelin. Selon les fourchettes du Giec, pour rester sous le seuil des 2 degrés d’augmentation moyenne des températures, préconisé par les scientifiques et objectif de l’accord de Paris, il faudrait rester entre 30 et 50 GtCO2. «On a toujours a minima 6 gigatonnes de trop en 2030, ce qui nous met plutôt sur une trajectoire de trois degrés d’augmentation des températures» par rapport à l’ère préindustrielle, projette Matthieu Orphelin. Le Climate Action Tracker a, lui, calculé qu’avec les INDCs déposées, on était sur une trajectoire de +2,7°C.
«La moyenne est médiocre puisqu’on est loin du compte, clairement, critique Célia Gautier. On reste bien au-dessus des +2°C. Le boulot n’est pas fait d’autant qu’on n’a aucune garantie pour savoir si les efforts annoncés seront réalisés et comment ils seront suivis, évalués.» C’est l’objet des débats en cours, à trancher d’ici à la COP21 : comment évaluer, mesurer, et contrôler les ambitions affichées de ces Etats, et à quelle fréquence ?
Source : Libération, par ,