Depuis deux ans, la cinquième ville de Hongrie ne se chauffe et ne s’éclaire quasiment plus qu’au bois et à la paille. Le bilan est positif.
En tentant l’aventure, en 2013, les agriculteurs des environs de Pecs, au fin fonds de la grande plaine céréalière de Pannonie, n’y voyaient peut-être qu’un moyen d’améliorer à la marge leur revenus, toujours bon à prendre. Grave erreur en faveur de ces 50 pionniers. « Depuis que nous sommes en contrat avec la centrale pour lui fournir de la paille, nos rentrées ont doublé », assure l’une d’entre eux, Ilona Hovathné-Pinter, tandis que son mari, aux manettes de son chariot élévateur, s’affaire à transférer sur une remorque d’énormes bottes de plusieurs centaines de kilos pièce.
Direction l’unité de co-génération de Pannon Power, filiale à 100 % de Veolia, où 60 convois du même type déchargent chaque jour leur cargaison. Une noria qui vient nourrir en continu son four à paille. Cet ogre de 28 mètres de haut engloutit chaque jour 600 tonnes de ce combustible (200.000 tonnes par an) pour produire électricité et chaleur. Avec un débouché tout trouvé, le réseau électrique national dans le premier cas et, dans le second, les 41.000 logements du réseau de chaleur de Pecs, réalisé à la fin des années 50, en plein socialisme triomphant et dans une ville, la cinquième de Hongrie (155.000 habitants), alors en plein boom.
400.000 tonnes de CO2 en moins
György Palko, le directeur de Veolia Hongrie, est formel : « il n’existe en Europe aucun autre réseau de cette taille qui distribuent de l’énergie et de la chaleur issue à 100 % de la biomasse ». Car une seconde chaudière tourne en parallèle sur le site de Pecs, alimentée au bois. Essentiellement celui provenant des rebuts des sociétés forestières et des déchets des scieries. Une ressource dont la centrale fait grande consommation (400.000 tonnes par an) et qui contribue à développer une puissance totale de 85 mégawatts (dont 35 tirés de la paille). C’est 20 % de ce que la Hongrie produit en énergie verte, secteur dont la part reste encore modeste (13 %) dans son mix énergétique, mais pas ridicule. Surtout au vu des décennies passées où le « tout charbon », celui longtemps extrait dans les collines du Mecsek qui bordent Pecs, puis le « tout gaz », régnaient en maître.
Le « tout biomasse » a pris le relais en offrant une efficacité énergétique au moins équivalente et avec des effets autrement moins négatifs sur la santé et l’environnement. La « nouvelle » centrale de Pecs a effacé 400.000 tonnes de CO2 par rapport au gaz. « L’équivalent de ce que 27.000 Français émettent chaque année », répète t-on à l’envi chez Pannon Power.
Un modèle a priori exportable
L’opérateur fait une affaire, à l’inverse du consommateur dont la facture n’a pas baissé. L’énergie que la filiale de Veolia tire de la biomasse lui coûte en effet presque deux fois mois cher à produire (4,5 euros le gigajoule) que celle issue du gaz (8,5 euros), alors que son prix de vente (9,5 euros le gigajoule) est resté inchangé. Le prix de la paille, matière prélevée localement (les sources d’approvisionnement n’excèdent guère un rayon de 50 kilomètres) et abondante, affiche une grande stabilité.Tout comme le bois, 20 % moins cher. Ce qui n’est pas vrai du gaz importé de Russie dont le prix a triplé en à peine 20 ans. La biomasse permet à la Hongrie de marquer plus de distances avec l’ex- « pays frère » et de se donner un peu plus d’indépendance énergétique. Au plan social, cette transition ne passe pas non plus inaperçue dans ce territoire où le chômage fluctue entre 12 et 14 % (deux fois la moyenne nationale). La filière pèse 400 emplois, auxquels s’ajoutent 500 contrats de saisonniers lors de la collecte de la paille).
La France peut-elle en prendre de la graine ? Ce ne sont ni les cultures céréalières, ni les réseaux de chaleur qui manquent. Pas sûr cependant que l’expérience hongroise, très encadrée par l’Etat, qui va jusqu’à fixer le montant des bénéfices s’y acclimate aussi facilement.
Joël Cossardeaux pour Les Echos