Dans le ciel de Montreuil (Seine-Saint-Denis), un morceau de toit joue les filles de l’air. Après l’avoir hissé depuis la rue, une grue le dépose avec précaution quatre étages plus haut. La pièce en bois, délicatement manœuvrée par des charpentiers mayennais, s’insère au milieu des autres. « Ça ressemble vraiment à un lego géant », s’exclame Alexandre Guilluy, directeur du développement de la foncière Etic, qui fait visiter l’immeuble, livré dans quelques semaines, à une poignée de futurs locataires. Casques de chantier vissés sur la tête et appareils photo en bandoulière, une dizaine de personnes enjambent les outils dispersés dans les étages.« C’est quoi, là ? Un palier ? » « Non, ça, c’est le bureau de Sortir du nucléaire ! » Il reste certes un peu de travail, mais pas assez pour gâcher l’ambiance réjouie. Ça a vraiment de la gueule », lâche Vincent Brossel, directeur de l’ONG Peuples solidaires qui s’y installera prochainement.
Pour avancer, mieux vaut rester groupé
Destiné à devenir le bureau d’associations, de coopératives et d’entreprises à vocation sociale, l’immeuble Mundo Montreuil sera bientôt le premier-né d’une entreprise foncière qui rompt avec les usages et les codes habituels de l’immobilier de bureau. D’un côté, Etic propose de réaliser un placement immobilier rémunéré – mais moins rentable qu’un placement classique – contre des garanties sociales et environnementales. De l’autre, la société fait une offre de bureaux et de services à loyers raisonnables pour des acteurs de la société civile. Son modèle se situe au Royaume-Uni, où Ethical property, sa cousine, née il y a plus de quinze ans, gère vingt centres hébergeant plus de 250 organisations, à l’aide d’investissements provenant de plus de 1 500 actionnaires.
« Ce projet, c’est la rencontre d’investisseurs qui veulent un placement différent de ce qui se fait classiquement et d’un besoin du secteur associatif, coopératif et social », explique Alexandre Guilluy. Le concept repose sur une maxime de bon sens : pour avancer, mieux vaut rester groupé. Les structures de petite taille, peu solvables, isolées, perdent en effet beaucoup d’argent et d’efficacité à gérer les dysfonctionnements quotidiens de leurs bureaux. « Le cas classique, c’est une ONG de quatre salariés qui s’entassent dans 40 mètres carrés avec une salle de réunion peu occupée qui coûte très cher et une photocopieuse qui ne marche jamais. On estime que ces gens perdent entre 10% et 20% de leur temps à gérer eux-mêmes les services généraux de leurs bureaux, explique Alexandre Guilluy. Si ces salariés-là peuvent militer pour limiter la pêche au thon rouge au lieu de réparer les toilettes, la planète s’en portera mieux. »
Cohérent pour les associations
L’image parle au CLER, le Réseau pour la transition énergétique, qui s’est montré intéressé par le projet Mundo Montreuil, il y a cinq ans. L’ONG abrite pour l’instant ses onze salariés dans un immeuble passoire dont il faut boucher les encoignures de fenêtres au chatterton l’hiver. Insupportable pour ceux qui y travaillent… et délicat pour une association environnementaliste spécialisée sur ces problématiques. « Nous, on voulait à la fois une excellente performance énergétique et un bon prix », note Raphaël Claustre, le directeur, en regardant ses futures fenêtres au premier étage de l’immeuble construit par Etic. Murs et charpentes en bois, isolant issu de l’entreprise sociale Le Relais : les vingt structures amenées à se partager les 180 postes de travail sur 2 000 mètres carrés poseront leurs valises dans un immeuble quasi passif, à la fois douillet et vitrine durable.
« Un bâtiment performant, c’est plus cher à l’investissement, mais les factures d’électricité et de chauffage seront moindres : comme Etic est à la fois propriétaire et exploitant, ça nous intéresse de faire ce type de choix ! », explique Alexandre Guilluy. Le poste de travail coûte 300 euros par mois.« 40% moins cher que le marché du tertiaire classique au même endroit », affirme-t-il. La recette repose sur la mutualisation des salles de réunions et de documentation, de la téléphonie et d’Internet, de la reproduction et la restauration. Autant de services qui représentent la moitié du coût d’un bureau. Bien plus difficile à calculer, mais essentiel, ce que rapporte à chacune de ces structures la possibilité de se côtoyer dans un même espace. « C’est fini, le temps où chacun travaillait dans son coin, surtout quand on est petits, ça nous intéresse d’être plus ouverts », explique Vincent Brossel, directeur de Peuples solidaires. La formule a fait ses preuves en Belgique, où Mundo Bruxelles, un immeuble d’une société cousine, réunit plus de soixante ONG. Dans une capitale européenne où les lobbyistes du secteur privé sont plusieurs milliers, voire dizaines de milliers, les quelques centaines de forces vives de la société civile se serrent les coudes. Et la cafétéria de Mundo Bruxelles y est pour beaucoup…
Des projets porteurs de sens
C’est précisément pour cette raison que Bruno Guers a investi ses 15 000 euros d’économies dans Etic. Ce trentenaire, ingénieur chez Alstom, ne se décrit pas comme engagé ou militant. Le conseiller en gestion de patrimoine de sa boîte lui proposait des dispositifs d’optimisation fiscale qui consistaient à acheter des morceaux d’appartement dans les territoires d’outre-mer, avec des niveaux de rentabilité promis extraordinairement supérieurs à celui du livret A. « Mais c’étaient des projets que je n’allais jamais voir de ma vie : je souhaitais investir en dehors de ces circuits-là, se rappelle-t-il. Mettre mon argent dans un projet ayant vocation à renforcer un contre-pouvoir qui a besoin d’énergie pour avancer, ça a du sens. »
Comme 70 autres, cet actionnaire peut aujourd’hui s’enorgueillir d’être à la source d’une opération immobilière de 4,5 millions d’euros, dont 40% apportés en fonds propres par Etic, la Caisse des dépôts et consignations et C Développement, un promoteur spécialisé dans le social business. Comme les autres, il accepte de ne recevoir par an qu’entre 3% et 5% de son placement sous forme de dividende, soit la moitié de la rentabilité habituelle du marché, gage de loyers bas. Après l’inauguration en mars, d’autres chantiers suivront. A Castres (Tarn), une ancienne friche de 2 000 mètres carrés, rénovée, devrait accueillir des acteurs de l’agriculture locale. A Nanterre (Hauts-de-Seine), un château de 2 300 mètres carrés, retapé, sera dédié aux innovations agroalimentaires. Rien de tel qu’un placement éthique pour mettre du beurre dans les épinards.
Source : TerraEco