Plus simples, plus légers, plus astucieux, plus robustes… Dans plusieurs secteurs apparaissent de nouveaux modèles qui viennent concurrencer des solutions high-tech mais, souvent, peu durables.
Les experts n’en doutent plus : les écogestes citoyens et les modèles de recyclage les plus novateurs (comme l’économie circulaire, par exemple) ne suffiront pas seuls à détendre la pression que font peser nos sociétés sur les ressources naturelles. « Le problème n’est pas le risque de pénurie, mais la disproportion des efforts qu’il va falloir déployer pour extraire des matières premières de plus en plus inaccessibles, explique Philippe Bihouix, ingénieur spécialiste des ressources minières. La question de la décroissance se pose donc de façon manichéenne : il faudra la subir bientôt ou la choisir maintenant. »
Il y a urgence. « C’est une nuée de criquets qui s’abat sur les ressources les plus rares », constate-t-il. Le tiers des métaux est concerné, comme le titane dont 95 % servent de colorant minéral à jamais irrécupérable dans les dentifrices, les crèmes solaires, les peintures et les matières plastiques. D’autres sont utilisés en quantité trop infime pour être recyclés, quand ils ne sont pas simplement dispersés, comme le platine des pots catalytiques qui finit dans le bitume, ou près de 3 % de l’argent extrait chaque année qui achève son cycle dans les stations d’épuration après avoir servi de protection bactérienne dans les textiles. « Notre mode de vie érode plus rapidement la croûte terrestre que ne le font le vent, l’eau et les mouvements tectoniques », explique l’ingénieur.
Comme son ouvrage qui célèbre les basses technologies (« L’Age des low-tech », Le Seuil, 2014), guides pratiques, magazines, forums et autres blogs déroulent concrè-tement le mode d’emploi « Vers cette sobriété heureuse » dépeinte par l’agrophilosophe Pierre Rabhi pour réduire notre ponction sur les ressources. « Le “low-tech” est d’abord une réflexion sur les besoins entre une écologie de l’offre qui prône l’alternative et la transition, et une écologie de la demande qui s’interroge sur nos choix de vie : a-t-on vraiment besoin du progrès qu’on nous propose ? Ne vaut-il pas mieux se contraindre à peu, réviser notre rapport à la mobilité, s’organiser différemment ? Le “low-tech” est d’abord une attitude qui vise à mieux se servir des produits high-tech aujourd’hui disponibles. »
Les industriels sont en première ligne de ces changements. « 20 % des innovations actuelles ont une origine technique. Les autres sont plus souvent de nature sociale, organisationnelle, commerciale, marketing ou financière. Il faut pousser encore plus loin cette logique », expliquait dès 2010 Michel Godet dans son rapport précurseur sur la créativité et l’innovation dans les territoires , rédigé pour le Conseil d’analyse économique, la Datar et l’Académie des technologies. « L’approche industrielle “low-tech”, c’est une voiture simple, légère, dépourvue ou presque d’électronique et équipée d’un moteur bridé. C’est la deux-chevaux avec un filtre à particules et des gommes inusables », résume Philippe Bihouix.
Bon sens et recyclage
C’est dans les pays en développement que le mouvement s’amorce avec le plus de facilité. Bricolage de vieux objets, recyclage, détournement d’usage… « Le génie humain sait le mieux s’y réapproprier le bon sens », explique Alain Guinebault, directeur du Geres (Groupe énergies renouvelables, environnement et solidarités), une association marseillaise qui mène des projets de développement durable innovants dans les pays du Sud, comme des serres solaires ou des poulaillers bioclimatiques. « Il n’y a pas forcément besoin de technologies de pointe pour améliorer les conditions de vie dans ces régions défavorisées », démontrait récemment Manu Prakash, un ingénieur biologiste au Stanford College, en présentant un microscope en papier destiné au dépistage rapide du paludisme dans les échantillons de sang. Ce « foldoscope » s’imprime simplement sur une feuille de papier et se monte par pliage à la manière d’un origami japonais. Une lampe LED, une pile et une lentille optique de base complètent l’assemblage pour permettre la détection des parasites. « Rudimentaire, mais diablement plus efficace que les kits de diagnostic bien trop cher pour parvenir là où le fléau sévit », sourit l’ingénieur.
Chiffres clefs
2021
Au rythme actuel, les réserves connues d’argent seront épuisées dans sept ans selon le service géologique américain USGS. Des dizaines de minerais sont concernés : or (2025), plomb (2030), cuivre (2039)…
140 tonnes
La consommation moyenne de fer d’un Européen durant sa vie. Il utilise aussi 16 tonnes d’aluminium, 680 kg de cuivre, 360 kg de plomb et 343 kg de zinc
6.600 m3
Les réserves d’eau douce par habitant et par an ont été divisées par deux depuis 1995 et ne devraient pas dépasser 4.800 m3 en 2025.
1,6
Très au-delà de la limite écologique viable, avec une consommation de ses ressources 60 % supé-rieure à ses capacités, la France fait mieux que les Etats-Unis (1,9), la Chine (2,2), l’Allemagne (2,5), et surtout le Japon (7) et les Emirats arabes unis (12,2).
Source : Les Echos