” Medellin a pu devenir la ville la plus innovante au monde car il y a eu une évolution dans la mentalité politique. Au cours des 12 dernières années, nonobstant le parti politique, il y a eu une continuité dans les différentes administrations.” Ana María Botero Mora
Il y a 20 ans, Medellin, troisième ville de Colombie, souffrait de sa terrible réputation de ville la plus dangereuse au monde : trafic de drogue, conflit armé, Pablo Escobar, taux d’homicide spectaculaire…. En 2013, le Wall Street Journal a élu Medellin « ville la plus innovante au monde », devant San Francisco, Tel Aviv ou New York. Comment cette métamorphose spectaculaire s’est produite en si peu de temps ? Nous avons rencontré Ana María Botero Mora, directrice de l’ACI, l’agence en charge de l’innovation pour Medellin.
20 ANS SEULEMENT APRÈS AVOIR ÉTÉ CONSIDÉRÉE COMME LA VILLE LA PLUS DANGEREUSE AU MONDE, COMMENT MEDELLIN EST PARVENUE À DEVENIR LA VILLE LA PLUS INNOVANTE AU MONDE ?
Il y a eu une évolution dans la mentalité politique. Au cours des 12 dernières années, un phénomène intéressant a eu lieu : nonobstant le parti politique, il y a eu une continuité dans les différentes administrations. Chaque parti avait bien sûr ses propres approches, mais aucun ne contestait le terreau de base initié par ses prédécesseurs, ce qui a permis aux gouvernements successifs de suivre avec succès des programmes ambitieux. Comme le dit le maire de Medellin, Anibal Gaviria, il y a eu « de bons gouvernements successifs qui ont construit sur ce qui existait déjà ».
Le prix de ville la plus innovante est le résultat de politiques urbaines simples et pratiques, mais qui ont permis à la ville de grandes avancées. Le titre du Wall Street Journal récompense également un choix stratégique : Medellin n’étant plus une ville industrielle, il a été décidé de tout miser afin de devenir « une ville du savoir ».
Afin de changer les mentalités, les politiques se sont efforcés d’assurer une grande transparence vis-à-vis des citoyens quand à l’usage des budgets publics et des investissements. En outre, ils ont su prioriser les investissements là où ils étaient le plus nécessaires, en particulier là où les inégalités sociales était les plus importantes : créer des emplois pour changer les conditions de vie des citadins. L’urbanisme a été exploité comme une clé du changement, avec une idée de développer la culture et l’éducation.
EN EFFET, AFIN DE RÉDUIRE LA VIOLENCE, L’ACCENT A ÉTÉ MIS SUR LA CULTURE ET L’ÉDUCATION…
L’éducation a été au cœur de tous les efforts, car le mouvement citoyen a compris dès 2004 qu’elle était l’outil indispensable pour créer des opportunités, inclure les populations délaissées, créer de la justice sociale et renforcer la productivité. A Medellin, 3ème ville du pays (et 3,5 millions d’habitants), 80% de l’enseignement est public (contre 50% pour Bogota ou Cali). Et l’éducation représente aujourd’hui 40% du budget total de la ville.
Depuis 10 ans, la notion d’éducation recouvre tout ce qui permet l’amélioration de la qualité de l’enseignement, les infrastructures, la connectivité, les lieux de rencontres entre citoyens, la culture urbaine, la promotion de l’entreprenariat… Pour cela, il a fallu renforcer les initiatives liées à l’éducation des enfants, les bourses scolaires pour l’enseignement secondaire, promouvoir les échanges internationaux, développer le système universitaire.
En fait, la ville a pris au sérieux l’idée que la ville est une école, faisant sienne le proverbe « l’école, c’est tout ce qu’il y a sous le soleil ».
LE METROCABLE EST UN DES SYMBOLES LES PLUS VISIBLES DE L’ÉVOLUTION DE LA VILLE…
Medellin possède de nombreux quartiers perchés dans les montagnes alentours, qui sont particulièrement touchés par la pauvreté, la violence, la précarité du logement et le chômage, et il était évident que la ligne de Métro n’allait pas changer la vie de ces populations éloignées, seulement desservies par des transports précaires et informels. Installer un Metrocable aérien était le moyen idéal pour rapprocher ces quartiers du nord-est avec le reste de la ville.
L’idée était donc d’offrir, via un moyen de transport, un accès à tout ce que la ville offre. L’installation du Metrocable s’est accompagnée de la construction d’une bibliothèque géante, d’un centre d’entrepreneuriat, de terrains de sport, de rénovations de logements, de nouvelles écoles, de crèches etc… Il ne s’agissait pas juste de construire un Metrocable mais d’intervenir de manière complète dans l’accès de ces citoyens à tous les besoins essentiels liés à l’éducation, la santé, la culture, l’emploi. L’impact a donc été énorme, et durable.
Aujourd’hui les populations de ces quartiers aiment ces infrastructures publiques, aucune dégradation n’est à déplorer, bien au contraire, car ils savent qu’elles appartiennent aux citoyens, pas au gouvernement. En effet, la communauté a été impliquée dans les choix d’urbanisme ; leur gestion relève d’un budget participatif auquel chacun peut donner sa voie ; les édifices ont été construits par des travailleurs directement recrutés dans ces quartiers ; et les structures sont de grande qualité (et non pas de seconde zone).
QUELLE EST AUJOURD’HUI LA STRATÉGIE DE LA VILLE POUR ATTIRER LES ENTREPRISES ÉTRANGÈRES ?
Il y a six domaines sur lesquels mise la municipalité : l’énergie ; le textile et l’industrie de la mode ; la santé ; la construction ; le tourisme ; et les TIC, Technologies de l’Information et de la Communication). L’ACI (The International Cooperation Agency of Medellin and the Metropolitan Area) est chargée de rendre la ville attractive et de développer la productivité dans ces secteurs afin d’attirer les investisseurs étrangers.
Dans cette optique, la ville a notamment créé le Medellinovation District, dans le nord de la ville, un quartier entier dédié à l’innovation dans le business, la science et la technologie.
Les atouts pour les investisseurs étrangers sont forts : les avantages fiscaux pour les entreprises qui veulent s’installer dans ce quartier vont de 75% à 100% sur l’impôt foncier et l’exemption des taxes industrielles ou commerciales. Plus de 45 entreprises (provenant de 10 pays) ont déjà investi les lieux.
A l’horizon 2023, ce sont plus de 1 million de m2 de bureaux et logements de qualité qui seront disponibles dans ce quartier. On estime que la population y sera de 28.180 personnes pour 28.834 emplois.
QUELLES EST AUJOURD’HUI L’AMBITION DE LA VILLE ?
Medellin ambitionne de devenir la capitale de l’innovation en Amérique latine. Pour cela, tous les groupes de population sont mobilisés, dans toutes les tranches d’âges, universités, entreprises, organisations locales ou internationales etc… Ruta N est l’organisme chargé de garantir un écosystème innovant afin de promouvoir cet objectif. Ruta N fonde son action sur des plateformes d’innovation, mobilise des entreprises liées aux TIC.
Medellin est la seule ville en Colombie à avoir une politique publique pour la science, la technologie, et l’innovation, avec un budget d’environ 240 millions de dollars jusque 2021. Un « Pacte pour l’innovation » récemment mis en place vise à accroitre encore les investissements.
Autre grand chantier : un nouveau plan d’urbanisme a été voté, qui sera en œuvre pour les 12 années à venir. L’idée est de protéger les ressources naturelles, d’assurer une meilleure mobilité, de rapprocher les quartiers « oubliés », de rénover le centre ville, d’assurer des logements dignes pour tous.
QU’EST-CE QUI VOUS REND LE PLUS FIER D’ÊTRE DE MEDELLIN ?
Je suis fière du fait que ma ville se soit développée, ces dernières années, par et pour ses habitants, en allant outre les conflits d’intérêts ou d’opinion. Peu importe l’étiquette politique, les gouvernements successifs ont su assurer une continuité afin d’améliorer les conditions de vie des habitants.
Source : Soon Soon Soon