Diagnostic préliminaire : une déconnexion entre urbanisation et transports
Conséquence logique de cette extension et ce délitement de la ville, plus la distance s’accroit avec les centres urbains, moins la densité des modes de transport s’exprime entraînant dès lors des phénomènes de discontinuité et d’éclatement des pôles attractifs. C’est pourquoi selon les usages (parcours quotidien de faible distance) et les configurations spatiales (péri-urbain et rural), la voiture est l’unique moyen pour accéder aux commodités urbaines élémentaires, inefficacement ou non desservies par des transports en commun.
Une donnée qui sera de moins en moins vue négativement à mesure que se développent les véhicules électriques et hybrides couplés avec des NTIC mais qui n’évacue pas pour autant la problématique de l’étalement urbain. En effet, cet éloignement des centres d’activités de plus en plus spécialisés (et donc générateur de mobilité) et l’éparpillement des services ont abouti à une mobilité éparpillée provoquant conjointement un accroissement global des déplacements et du temps lui étant consacré, une saturation des infrastructures et une congestion généralisée de transport. Même si les différentes modalités de transports s’avéraient moins polluantes, il y aurait toujours un transfert d’énergie. C’est donc en filigrane d’abord nos modes d’habiter et de se mouvoir qu’il faut articuler autrement.
Un impératif qui s’impose d’autant plus qu’avec les récents changements de mode de vie et des attentes sociétales, les mouvements pendulaires domicile-travail sont de plus en plus concurrencés par une mobilité non contrainte axée sur le savoir, les loisirs, le scolaire (carte scolaire et sectorisation selon le classement des établissements) mais aussi et surtout la consommation vers les zones centrales d’agglomération ou des polarités plus lointaines bien identifiées (Disney, Louvre, Sénart…). Resserrer les liens entre mobilité et urbanisme passe par le tissage de mailles de transport aux vitesses différenciées vers des centralités importantes ainsi que des espaces à la fois de lenteur et de proximité jouant le rôle de lieux attractifs et de commutateur urbain. L’urbanisme et la mobilité sont voués à s’étreindre de plus en plus dans ce tango urbain qu’est la métropole.
Tisser des mailles de mobilité : une méthode
Les transporteurs ont longtemps pensé en termes de réseaux d’infrastructures rapides entre des pôles prioritaires. La donne a changé pour embrasser le concept d’arborescence : l’important est de permettre une adaptation constante des modalités de transport aux désirs de l’usager pour arriver à destination à la vitesse souhaitée.
De l’impératif du transport, nous sommes passés au désir de mobilité qui, pour être vertueuse, doit multiplier les modalités, les vitesses et leur connexion tout en respectant l’esprit et la configuration du lieu. La demande de mobilité commence à faire primer la qualité et le temps du voyage sur la vitesse de croisière. Dans ce renouvellement de la demande, le tracé ne peut plus se borner uniquement à intégrer les polarités économiques, commerciales, bassin de vie (liaisons inter-quartiers notamment avec les quartiers prioritaires) et sociales (universités, écoles, hôpitaux….) génératrices de déplacements. Il doit d’abord et surtout rendre le trajet agréable en reliant la géographie physique, humaine et l’histoire du lieu traversé.
Le tracé doit révéler, en plusieurs séquences, le grand paysage, les chemins et voies anciennes, l’hydrographie, la trame foncière et le parcellaire primitif dans lesquels il a intérêt à se fondre pour faciliter son intégration urbaine. Il s’agit d’avoir à l’esprit que l’on tisse une maille irrégulière pouvant faire un détour mais qui retrouve toujours un équilibre à l’image d’un mobile de Calder.
Le maillage global d’un espace entremêle harmonieusement les transports en commun, les voitures en libre service, les bornes vélos, les circulations douces et actives au cœur d’une intermodalité remarquable car elle assure la continuité et la qualité des chemins à l’échelle du quartier, des villes et des différents espaces (urbains, verts…). Leur enchevêtrement permet toujours plus de capillarité et de fluidité afin de percoler à travers l’urbain et mieux le desservir faisant disparaître les coupures urbaines et permettant l’émergence de la ville passante.
Dans ce renouvellement en marche de la mobilité, le Bus à haut niveau de service (BHNS) est remarquable d’efficacité car il permet de tisser rapidement des liens dans les espaces sous-équipés. Entre le bus et le tram, le BHNS dégage les agglomérations de la congestion urbaine en apportant de nouveaux systèmes d’accessibilité plus commodes, plus attractifs concourant à la mise en valeur de la Ville grâce à un système de priorité (marquage au sol, stations, priorité au feu), une capacité à s’adapter à la diversité des contextes urbains, une qualité de service haut de gamme (amplitude, fréquence, vitesse) et enfin un confort proche du tram.
Dans le dimensionnement (gabarit), le réseau comme les stations prennent en compte les possibilités d’évolution et jouent le rôle de préfiguration pour d’éventuelles infrastructures plus lourdes. C’est une machine à coudre les tissus urbains en leur permettant d’interagir et de se projeter le long de son sillage.
Mais ce type de solution ne doit pas prendre le pas sur l’intermodalité et la multimodalité qui sont plus porteuses de changement.
Sortir des rigidités par la multi et l’intermodalité
Le monde de l’urbanisme et des transports est passé d’un idéal tout voiture comme unique mode de déplacement à celui du tout vélo (Amsterdam est dépassé par l’usage excessif du vélo) ou du tout transport collectif. La rigidité des mentalités s’est souvent poursuivie dans le dessin des tracés trop spécialisés et monofonctionnels.
Aujourd’hui, la mobilité embrasse la pluralité des choix par une complémentarité physique des modes de transport (multimodalité) et le passage facilité de l’un à l’autre (intermodalité) afin d’offrir la meilleure connexion possible entre les populations, les fonctions, les usages avec pour impératif une accessibilité généralisée.
Les offres de mobilités et les dessertes doivent tendre à l’adaptation la plus fine possible avec les motivations et les temporalités des déplacements mais aussi les saisons, les événements en amalgamant la mobilité rapide à grande échelle et une de proximité, plus lente, sécurisée et adaptée au cadre de la ville vécue. La vitesse correspond aux demandes légitimes des actifs en supplément d’espace, de productivité, de voisinage choisi (carte scolaire). La lenteur correspond aussi à une demande sociale d’une ville des courtes distances et multifonctionnelle qui est en passe de se renforcer à mesure que le vieillissement actuel de la population s’impose. Pour ce faire, tout en limitant les conflits d’usages, les différents modes de transport doivent coexister et se combiner en fonction de leur rythme, leur espace, leur efficacité selon les contextes spatiaux, la distance à parcourir et le moment de la journée.
L’intermodalité permet d’articuler aménagement des voies, information en temps réel et lisibilité maximale des cheminements. Il s’agit du plus grand gisement de rénovation et requalification urbaine afin de répondre à la demande collective de mobilité.
L’intermodalité mêle le hard et le software à partir d’une infrastructure plus modulable (voies réversibles selon le trafic, portions de voies pour les bus selon les horaires, lignes en rabattement, utilisation temporaire de la bande d’arrêt d’urgence …) et de la coexistence diversifiée des modes de transport (la voiture service, autopartage avec un stationnement dédié, tramway, modes actifs, taxis sociaux, transport fluvial).
L’espace public entremêle désormais la route, les trottoirs, les cheminements piétons, les pistes cyclables, les voies dédiées aux transports publics par un traitement paysager qui les met en scène afin de générer cette qualité urbaine tant recherchée par les entreprises et les habitants. L’idée de créer la halte ou la pause (bancs publics) dans l’espace public va également se reposer sous peu dans un futur contexte de vieillissement d’une population aux revenus assez importants pour obtenir une ville qui puisse répondre à ses besoins. La mobilité a même permis de redonner une visibilité à la ville par la reprise de ses placettes, ses rues, ses entrées de villes, ses espaces verts avec un traitement au sol et des plantations.
Le futur de la mobilité réside donc dans cet enchevêtrement largement facilité par l’usage des NTIC. Celui-ci permettra de réveiller le gisement du transport combiné pour les marchandises (fret) ou encore la mobilité à la demande encore en sommeil pour les scolaires, les seniors, les entreprises (déjà initiée par pro’mobilité http://www.promobilite.fr). Les opérateurs privés et les acteurs économiques doivent pouvoir organiser leurs modalités selon leur demande à l’image des premiers omnibus de Baudry à Nantes qu’il mit sur pied afin d’amener le plus de personnes possible à ses bains douches.
Du culte de la vitesse des transports des trente glorieuses, nous sommes passés à une mobilité devant rimer avec une offre remarquable par sa qualité, sa fréquence, sa régularité, sa ponctualité, sa densité, sa transparence. Pouvant cultiver une autonomie face à l’infrastructure et personnaliser son itinéraire grâce aux applications androïd des smartphones, l’usager commence à faire primer les conditions du voyage sur la rapidité d’arrivée à destination : c’est un lieu et un temps de sociabilité et de vie. Le temps du voyage est devenu une durée en acquérant une valeur de loisir, de travail, de détente, d’étude et d’échanges. On peut citer à ce titre le site web http://www.croisedanslemetro.com. Ce renouvellement de la mobilité a d’abord pour base des espaces de relais qui servent de commutateurs entre les modes de transport et d’espace stratégique d’intensité urbaine.
Les espaces de relais, une île immobile dans un océan de mobilité
Gares, arrêts de bus, stations de velib’ et d’autolib’, potelets, bancs publics sont autant d’espaces charnières de la mobilité à valoriser.
Un espace relais doit toujours bénéficier d’un ancrage territorial : sa situation coïncide avec des repères urbains conformes au génie du lieu, à l’imaginaire local ou une centralité essentielle. Il sert de nœud entre le global et le local, de commutateur entre des réseaux de mobilité et enfin de lieu d’échanges commerciaux et culturels.
Parmi ces espaces de relais, la gare détient une place primordiale occupant la fonction conjointe d’entrée de ville, de centre multimodal, de lieu de requalification urbaine et d’espace multiservices. La gare est d’abord une entrée de ville qui mérite une place, des commerces, des rues piétonnes, un centre d’information type syndicat d’initiative donnant des renseignements nécessaires sur le quartier (services publics, animations culturelles, organisation sanitaire…). Elle est l’une des figures de proue de sa localité et doit, à ce titre, bénéficier d’un traitement particulier qui la distingue des autres sur l’infrastructure : une démarche que l’on retrouve dans les principales stations du métro parisien. Comprise dans un réseau, elle permet de distribuer d’autres pôles et devient à ce titre une localisation prioritaire dans les stratégies résidentielles et entrepreneuriales afin de réduire au maximum le porte à porte.
Elle est donc aussi et surtout un pôle d’échanges et d’intermodalités permettant l’articulation entre le transport ferré, piéton, cycliste, bus. Cette fonction mérite d’être explicitement affirmée par un parvis au bénéfice du bus, du vélo et du piéton mais aussi un stationnement pour faciliter le report modal. Elle doit à ce titre allier confort et information en temps réel dans une éventuelle agence locale de la mobilité couplée à un bureau du temps pour permettre l’empowerment des voyageurs.
On assiste à une tendance fréquente en urbanisme d’accoler des solutions stéréotypées sur les programmes de gare : les quartiers de gare sont densifiés avec pour programmation prioritaire des bureaux en zone dense (malgré un taux de vacance très élevé) et de l’habitat à mesure que l’on s’éloigne du centre. Les programmes devraient être bien plus variés et laisser la place à l’imagination afin de valoriser au mieux les avantages physiques, économiques et géographiques de la localisation. En revanche, une certitude est que la gare doit créer la ville comme lieu public et de vie par une offre très diversifiée de services, de commerces de proximité et de rencontres : petits commerces, kiosques à journaux, alimentation, restauration, relais livraison, antenne municipale pour les démarches administratives basiques, bureaux de Poste, commerce en ligne, gardiennage, centre commercial, services à la mobilité (location de vélos VTT et de villes, boxes à vélo individuel, arceaux, atelier de réparation), consignes automatiques……
Cette diversité programmatique permet une fréquentation multiple qui sécurise l’espace en assurant l’intensité urbaine.
« Ce qui doit tomber, il ne faut pas le retenir. Il faut encore le pousser. » Nietzsche
Nous sommes au seuil d’un changement de paradigme aussi bien d’échelles que de rythmes qui est encore au stade de l’amorce. Celui-ci sera enclenché à partir du moment où se diffusera dans le corps social une culture de la mobilité et un apprentissage quotidien et évolutif. En perpétuelle extension, la ville n’est pas condamnée à subir son délitement et sa fragmentation en isolats autonomes (condominiums, gathered communities). La mobilité lui offre cette perspective de rester vivable, solidaire, ouverte et passante afin de permettre quotidiennement la rencontre à condition que l’on puisse inventer, adapter, imaginer, diversifier. La piste la plus mise en avant par les prospectivistes est l’intégration complète par les smarts grids de sous-systèmes de flux d’énergies, de marchandises, de voyageurs, de chaleurs, de services, d’informations.Quoi qu’il en soit et comme disait Bernanos : « L’avenir est quelque chose qui se surmonte. On ne subit pas l’avenir, on le fait. »