Atelier de démontage de télévisions dans le parc industriel chinois de Miluo, dédié à l’économie circulaire, dans la province du Hunan.
Zhou Sihan / Imagechina / AFP
Le basculement de nos modes de production linéaires vers une économie circulaire peut être avantageux pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre mais aussi pour l’emploi. C’est ce que nous montrent deux études publiées récemment, l’une par l’Institut de l’économie circulaire, et l’autre par le club de Rome. Décryptage.
Depuis deux ou trois ans l’économie circulaire, qui promeut les économies d’énergie et de matières premières, la réutilisation, le recyclage ou encore l’économie de la fonctionnalité, est de plus en plus mise en avant dans les stratégies d’entreprises et des gouvernements dans le cadre de la lutte contre le changement climatique. C’est notamment le cas de la France qui a consacré toute une partie de sa loi sur la transition énergétique à l’économie circulaire.
Le concept commence même à sortir du champ purement environnemental. Le paquet européen sur l’économie circulaire présenté par la Commission début décembre le montre bien : il n’est pas seulement porté par le commissaire en charge du Développement durable mais aussi par celui en charge de l’Emploi et de la Croissance ou celle chargée du Marché intérieur et de l’Entreprenariat. Car “en stimulant l’activité durable dans des secteurs clés et de nouvelles perspectives commerciales” le train de mesures proposé par la Commission doit aussi stimuler “la création d’emplois, la croissance économique, les investissements et l’équité sociale”.
De fait, les dernières études montrent que cette combinaison entre bénéfices environnementaux et bénéfices socio-économiques est réalisable.
Des gains importants en termes de réduction des émissions
Le découplage absolu de notre consommation de matières premières et d’énergie avec l’activité économique constitue l’une des clés de la lutte contre le dérèglement climatique. Pour cela, l’économie circulaire a de nombreux atouts à faire valoir. Par exemple, le recyclage et la réduction des déchets permettent de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) dues à la combustion (CO2) ou à la décomposition (méthane).
L’économie circulaire permet à l’entreprise de faire des gains substantiels sur ses émissions de GES : on peut observer des réductions allant jusqu’à 34 % par rapport à un système de production linéaire, conclut une étude menée par l’Institut de l’économie circulaire et l’équipe d’EY Cleantech & Sustainability.
A l’échelle d’un pays, cela compte. Selon le Club de Rome qui a calculé le potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour plusieurs pays européens, la France pourrait les faire baisser de 66 % si elle combinait plusieurs actions: sur les énergies renouvelables (augmentation de la proportion d’ENR dans le mix énergétique en réduisant de moitié l’utilisation de combustibles fossiles et leur remplacement par des sources renouvelables), sur l’efficacité énergétique (25 % de gain par rapport à la demande d’énergie primaire pour l’année 2010) et sur l’efficacité de la matière (gain de 25 % plus efficace en ressources, la moitié des matériaux vierges étant remplacés par des matériaux recyclés, et le temps de vie doublé).
“Rappelons qu’un partage des ressources et une augmentation de la durée de vie des produits peut permettre des gains substantiels”, souligne Anders Wijkman, le vice-président du Club de Rome qui venait présenter son étude à Paris. “Une voiture n’est utilisée que 5 à 10% du temps, les bureaux d’une entreprises qu’au tiers du temps. C’est très inefficient. Des scientifiques américains ont calculé que si tout le monde utilisait son téléphone portable et son ordinateur une seule année de plus, nous économiserions 40% de l’énergie et des matériaux utilisés chaque année dans le secteur !”, explique-t-il. La construction est également particulièrement visée car 50% des infrastructures urbaines d’ici 2050 n’ont pas été encore construites : il importe donc d’y intégrer les règles d’économie circulaire, “notamment dans les pays en développement“, précise Anders Wijkman.
Au niveau mondial, l’énergie économisée grâce aux activités de réparation (remanufacturing) serait équivalente à la production d’électricité de 8 centrales nucléaires ou à l’énergie fournie par 10,7 millions de barils de pétrole. Et elle permettrait d’économiser un volume de matières premières qui pourrait être contenu dans 155 000 wagons d’un train de 3 000 km (selon le Freaunhofer Institute de Stuttgart).
Une efficacité aussi en termes d’emplois
En dehors de la question climatique, l’économie circulaire est aussi pourvoyeuse d’emplois. C’est l’autre démonstration de l’étude du Club de Rome (“L’économie circulaire et ses bénéfices pour la société”). “Demain, les emplois industriels seront beaucoup moins ceux de la fabrication, très automatisée dans les pays occidentaux notamment, que ceux de la maintenance, de la réparation, du recyclage”, analyse Anders Wijkman.
Par ailleurs l’amélioration de la productivité entraîne une plus faible demande pour les ressources. Cela permet d’économiser de l’argent pour l’acheteur et la baisse de la demande tend à réduire le prix unitaire des matériaux utilisés. Et comme les secteurs d’extraction de ressources ont généralement de faibles intensités de travail, l’argent économisé (lorsqu’il n’est pas dépensé dans l’achat de matériaux vierges) peut être employé à financer des mesures pour développer l’emploi.
Le cas d’une combinaison précitée des différents scénarios (énergies renouvelables, efficacité énergétique et de la matière) permettrait ainsi de créer au moins 500 000 emplois en France, un chiffre à mettre en perspective avec le chômage qui touche environ 3,5 millions de personnes aujourd’hui, souligne le Club de Rome. Dans les autres pays étudiés, l’emploi aussi serait boosté : 400 000 créations de postes sont espérées en Espagne (où l’on recense 4 millions de chômeurs) ou 200 000 aux Pays-Bas et 75 000 en Finlande. Des résultats en ligne avec d’autres études qui tablent sur une création de 2 millions d’emplois en Europe (comme celle de Cambridge Econometrics : “Study on modelling of the economic and environmental impact of raw material consumption”, 2014).
Un atout social et politique
De quoi rendre la transition bas-carbone “désirable”. Et c’est bien le but de ces études qui sont présentés aux parlementaires des différents pays. “Nous allons diffuser cette étude le plus largement possible pour rassurer les politiques et apporter la preuve qu’il s’agit bien de la bonne voie à suivre”, assure François Michel Lambert. Le député EELV, qui porte depuis longtemps cette question, est aujourd’hui à la tête de l’Institut de l’économie circulaire et multiplie les rendez-vous en ce sens avec ses homologues ou les ministres, comme Emmanuel Macron, le ministre de l’Economie, qu’il a vu récemment, “dans le cadre de la phase deux de la loi sur la nouvelle économie”, précise-t-il.
Mais la transformation d’une économie de stock en économie de flux ne se fera pas d’un coup. Des investissements sont nécessaires. Le club de Rome les chiffre entre 2 et 30% du PIB supplémentaires par rapport à un scenario business as usual. Et des mesures règlementaires et fiscales doivent accompagner le changement, en rendant les matériaux recyclés moins onéreux pour les entreprises notamment, souligne de concert l’Institut de l’économie circulaire et le Club de Rome.
Le jeu en vaut la chandelle. Bonne pour le climat, bonne pour l’économie, l’économie circulaire a aussi des bénéfices sociaux, comme le fait de tisser du lien social entre entreprises, collectivités et citoyens dans les territoires, tient à souligner François Michel Lambert. “Un atout non négligeable dans le contexte actuel”, précise-t-il.
Source : Novethic