Jardins partagés, serres perchées sur des toits, murs végétalisés : la pluralité des formes d’agriculture intra-urbaine rend ce concept difficile à définir. Si la démarche est louable pour ses objectifs sociaux et environnementaux, dans la majorité des cas, elle n’a d’agriculture que le nom.
“La ville continue de gagner du terrain, avec 490 000 hectares gagnés entre 2006 et 2014 au détriment des terres agricoles. Toutefois les centres urbains se verdissent dans les jardins, dans des interstices, ou sur les toits. Il faut parler de ‘campagnification’. Ces agricultures urbaines inventent de nouvelles hybridations avec la ville, et contribuent à déminéraliser le paysage urbain”, indiquait, lundi 28 septembre, Olivier Bories, maître de conférences à l’Ecole nationale de formation agronomique. Invité par le think-tank agricole Saf agr’idées lors d’un colloque consacré à l’agriculture intra-urbaine, il a tenté, au même titre les autres participants, de définir et d’illustrer ce concept aux réalités multiples.
DES ACTIVITÉS LOCALISÉES EN PLEINE VILLE
“Le degré d’urbanité, l’analyse spatiale, la diversité des formes de culture et la variété des modèles économiques permettent de comprendre ce que sont les agricultures urbaines”, précise pour sa part Christine Aubry, ingénieur de recherches à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA). Selon son lieu d’implantation, l’activité agricole peut être, ou non, qualifiée d’intra-urbaine : “dans un paysage urbain, en pleine ville, nous pouvons effectivement employer ce terme. En revanche, il n’y a pas de fonction de contact entre les agriculteurs et les citadins dans un environnement périurbain”, complète-t-elle. Ainsi, en France, 46% des exploitations agricoles sont situées en zone urbaine, mais ne sont pas toutes en contact avec des zones d’habitation ou de travail.
“Il faut rester prudent sur le boom des agricultures intra-urbaines, soutenu par la crise de confiance dans l’industrie et par l’utopie d’une autosuffisance alimentaire, a tempéré Olivier Bories. Ces activités sont pour la plupart portées par le lien social et par la volonté de se rapprocher de la nature, à l’instar des jardins partagés. Les agricultures intra-urbaines et périurbaines sont différentes, dans la mesure où la première se rapproche du jardinage ou d’une production purement locale, tandis que la seconde est conventionnelle.”
DES FONCTIONS SOCIALES ET ENVIRONNEMENTALES, PLUS QU’ÉCONOMIQUES
“Les fonctions de l’agriculture intra-urbaine sont économiques, sociales et environnementales”, affirme pourtant Emmanuelle Lagadec, responsable de la division Stratégie de développement durable à la mairie de Paris. Mais, malgré la pluralité des projets développés dans la capitale, la fonction économique peine à émerger. Ainsi, la mairie de Paris travaille depuis trois ans au développement de jardins partagés (au nombre de 111 en 2015, sur 6 hectares) et d’espaces cultivés (à l’Ecole du Breuil, dédiée à l’horticulture, et dans les parcs de Bercy ou de Bagatelle, pour un total de 83 hectares, ainsi que sur les murs et les toitures).
Pour structurer ce mouvement, la mairie a mis en place un système de “permis de végétaliser” et a également lancé en 2013 un appel à projets consacré aux “végétalisations innovantes”. Des collèges ou bien encore les Galeries Lafayette se sont prêtés au jeu en allouant certains de leurs espaces à des projets végétaux.
DES QUESTIONS JURIDIQUES EN SUSPENS
Quelle que soit leur ampleur, les projets d’agriculture intra-urbaine doivent être juridiquement encadrés. “L’agriculture intra-urbaine est une agriculture comme les autres, comme le stipule l’article L311-1 du Code rural et maritime : la loi ne s’attache aucunement au support de la production (horizontal, vertical, etc.)”, a pour sa part souligné Benoît Grimonprez, maître de conférences à l’Université de Poitiers.
Néanmoins, les projets à vocation sociale “constituent une zone de non-droit. A mon avis, les structures de l’économie sociale et solidaire ont vocation à rejoindre la grande famille des activités agricoles en appliquant le droit rural, même en plein centre-ville, et en étant soumises aux mêmes droits et contraintes”, a-t-il estimé. N’excluant pas la création d’un statut “d’agriculture de proximité“, Benoît Grimonprez a mis en avant les questions liées à l’installation de telles activités dans des immeubles d’habitation ou de bureaux, et à leur impact potentiel sur l’environnement immédiat.
Le développement de l’agriculture intra-urbaine ne pourra pas faire l’économie d’une structuration plus forte de ce mouvement hétéroclite.
Source : Usine Nouvelle – Franck Stassi