Selon Geneviève Ferone, le défi démographique présente des opportunités de croissance considérables – et trop souvent mises de côté – dans le domaine agricole.
Invitée du Forum citoyen au Gabon de Libération, Geneviève Ferone, ancienne directrice du développement durable chez Véolia participait au débat «L’Afrique Verte, clé du développement, à quel horizon ?». Rencontre.
D’ici 2050, la population africaine devrait doubler pour compter 2,2 milliards d’habitants. Un quart de la population de la planète – et autant de bouches à nourrir – vivront alors sur ce continent. Quelle place donner à l’agriculture dans ce contexte ?
L’agriculture devrait constituer un levier majeur de la croissance de demain en Afrique. Mais pour cela, le continent devra se tourner vers une agriculture maraichère et vivrière raisonnée, c’est-à-dire basée sur des pratiques agro-écologiques utilisant les services rendus par les écosystèmes plutôt que de les remplacer par des engrais et pesticides. Une agriculture plus respectueuse des sols, de la biodiversité et de l’environnement, mais permettant de produire presqu’autant que l’intensif. Son intérêt est multiple. D’abord elle est écologiquement intéressante et en plus, elle nécessite, contrairement à l’agriculture intensive, une main d’œuvre importante. Elle est donc créatrice d’emplois. Elle créé ainsi du lien social et permet ainsi de maintenir une vie en dehors des villes, à l’heure où l’urbanisation apparaît galopante, et elle permet aux populations rurales d’acquérir une autonomie financière. C’est aussi un enjeu d’émancipation pour les femmes, celles-ci étant très souvent derrière ces petites structures agricoles. L’agriculture coche tellement de cases qu’il apparaît délirant de ne pas davantage l’évoquer lorsqu’on parle de l’Afrique de demain.
Où se situe l’Afrique dans cette démarche ?
Très loin ! Le modèle productiviste des années 1970-80 n’a pas fait des ravages que dans les pays occidentaux. En introduisant un modèle de production intensif basé sur la mécanisation et la monoculture, la coopération a fait beaucoup de dégâts, notamment au niveau des sols qui se sont retrouvés épuisés par cette agriculture agressive. Au Niger et au Mali, des milliers d’hectares ont ainsi été détruits. Mais aussi progressivement la petite agriculture, incapable de faire face à cette concurrence. Aujourd’hui, tout est à faire. La bonne nouvelle c’est que l’Afrique n’a pas à déconstruire un modèle. Elle peut aller plus vite dans sa transition.
Comment ?
En changeant de paradigme. En mettant en place des modèles d’économie locale et circulaire. On ne peut plus se situer dans une logique de saupoudrage, avec des actions réalisées à la marge et des petites subventions distribuées ça et là pour se donner bonne conscience. Tous les acteurs – Etats, producteurs, ONG, citoyens, etc. – doivent s’impliquer à tous les niveaux de la production. Cela passe par la valorisation du métier d’agriculteur, boudé par les jeunes qui préfèrent aller s’installer en ville. Il faut leur montrer que ce travail ne consiste pas à planter une graine et à l’arroser en attendant que ça pousse, mais que c’est un métier technique, nécessitant une excellente connaissance des plantes, de leur fonctionnement sous un climat, un sol et un écosystème précis. Le développement d’une telle agriculture ne se fera donc pas sans une recherche agronomique poussée, et sous doute pas non plus sans le recours aux technologies. Les «agriculteurs 2.0» s’aidant d’outils numériques et satellitaires pour mieux doser leurs apports en intrants auront toute leur place dans cette Afrique qui doit subvenir à ses besoins alimentaire.
Une autosuffisance est-elle possible ?
Non. Cela n’a aucun sens de viser une autosuffisance à 100%. Dans le contexte d’explosion démographique et de libéralisation des marchés et de concurrence internationale, il y aura toujours des pays plus concurrentiels sur certains types de produits. L’Afrique devra donc faire des arbitrages entre ce qui pourra être produit de manière locale et raisonnée, et les produits ne pouvant être produits qu’à échelle industrielle pour être rentables, comme le cacao par exemple, ou devant être importés.
La moitié des Africain vivront en ville en 2030. Comment maintenir une agriculture locale dans ces conditions ?
En multipliant entre les immeubles des poches de 5 à 10 hectares, où sera pratiquée une agriculture maraichère et vivrière urbaine, comme cela est déjà fait à Ouagadougou, Dakar, Abidjan ou Niamey. Cela suppose la mise en place de mécanismes de préemption et de soutien financier par les Etats, afin de lutter contre la pression des promoteurs. La volonté est là.