Vice-présidente de la Fondation Nicolas Hulot et du think tank The Shift Project, Geneviève Férone-Creuzet pointe les enjeux de la double croissance africaine, à la fois économique et démographique. Comment faire pour que le continent, qui représentera un quart de la population mondiale en 2050, se développe en mode bas carbone ? Un sujet qui, nous dit-elle, « brûle tous ceux qui s’en approchent ».
À quelques jours de l’ouverture de la COP22, les projecteurs se rallument et le grand chapiteau itinérant des négociations climatiques se pose à Marrakech, en terre africaine. Après l’accord de Paris, la diplomatie marocaine hérite d’un débat plus apaisé et doit désormais consacrer ses meilleurs efforts à l’accouchement de vraies feuilles de route opérationnelles et contraignantes. Mais Marrakech est aussi l’occasion de considérer le changement climatique depuis une perspective africaine.
Un rythme de croissance unique dans l’Histoire
Il est évident que le continent africain occupe une place très singulière dans la mobilisation contre le changement climatique, ce qui soulève des questions particulièrement brûlantes et urticantes en termes de trajectoires de développement. La situation est pour le moins paradoxale : le continent africain est à ce jour très marginalement responsable de l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre, mais la trajectoire « carbonée » de l’Afrique du Sud montre combien la croissance de l’Afrique pourrait devenir fortement émissive si rien n’était fait pour promouvoir des solutions d’énergies vertes à toutes les échelles territoriales. Il est impossible d’appréhender toute la complexité de la réalité africaine, mais ce continent, incontestablement traversé par des dynamiques de croissance fortes, pourrait bien devenir celui de toutes les promesses à condition de surmonter des enjeux de rupture sans précédent.
« La part de l’Afrique dans la population mondiale, de l’ordre de 9% en 1950, devrait atteindre 25% en 2050 »
Véritable angle mort de la transition énergétique, se profile la question de la démographie ; cette question est un sujet qui brûle tous ceux qui s’en approchent. Le défi démographique est pourtant au cœur des enjeux de développement. « Dividende démographique ou bombe démographique » : c’est en ces termes que le sujet est abordé par Roland Pourtier, professeur à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, et Président de l’Association de Géographes Français (AGF). Le rythme de croissance de la population africaine, depuis le milieu du XXe siècle, est en effet unique dans l’histoire de l’humanité à l’échelle d’un continent et dans la longue durée. La population aura été multipliée par 10 en un siècle, contre 3 pour le reste du monde et 1,3 pour l’Europe. Conséquence : la part de l’Afrique dans la population mondiale, de l’ordre de 9% en 1950, compte pour 16% en 2016 et devrait atteindre 25% en 2050. De plus, cette croissance concerne plus directement l’Afrique tropicale, partie du continent qui est la plus vulnérable aux bouleversements climatiques.
Sortir des sentiers battus de l’aide au développement
Dès lors, l’Afrique est devant un défi considérable : se développer en mode bas carbone et maitriser les déterminants de sa démographie pour que les bénéfices de la croissance puissent bénéficier au plus grand nombre. Pour être durable, la « restructuration » en cours doit se fonder sur la bonne articulation des territoires. C’est le meilleur moyen pour gérer l’étalement des villes et favoriser les échanges et l’enrichissement des campagnes, selon des modèles économiques résilients et pérennes qui pourraient s’inspirer de l’économie circulaire, favorisant l’émergence d’un tissu de petites entreprises dynamiques et innovantes.
Au-delà des postures habituelles fondées sur la peur, la défiance ou la compassion, pourquoi ne pas sortir des sentiers battus de l’aide au développement et de la logique humanitaire, et associer la jeunesse africaine, les femmes et les entrepreneurs à une nouvelle dynamique ? Encourager la coopération entre les entreprises, les écoles et les universités, et accélérer l’accès à des formations techniques et professionnelles, favoriser l’agriculture familiale créatrice d’emplois pérennes, assurant la sécurité alimentaire et la préservation des écosystèmes, imaginer des montages financiers spécifiquement fléchés sur des modèles économiques inclusifs et résilients.
En 2050, il y aura plus de jeunes en Afrique qu’en Asie de l’Est ; nous ne pouvons condamner cette jeunesse au désespoir ou à l’exil. Toutes nos forces doivent se mobiliser autour de l’emploi et de l’employabilité, ce qui suppose d’élever et surtout d’élargir le niveau d’éducation, sans oublier d’y associer les jeunes filles. Le Maroc a amorcé des projets emblématiques pour former sa jeunesse et celle de l’Afrique francophone, y compris pour les jeunes les plus démunis. D’autres devront suivre de façon urgente. À cette condition, l’Afrique pourrait peut-être percevoir les fruits du dividende démographique et de la transition énergétique.
Image à la une : pouvoirsafrique.com