Cet Américain voit le monde en grand. Au point que ses recherches ont permis de créer une nouvelle discipline : l’histoire évolutionniste. Après avoir mis au jour l’impact de l’environnement dans la chute des civilisations avec Effondrement, cet infatigable voyageur explore dans son dernier essai la sagesse supposée des sociétés traditionnelles. Un grand récit renouvelé et loin des clichés.
Il est des vocations tardives. Celle de Jared Diamond, par exemple, qui aura attendu l’âge de la préretraite – 55 ans – pour publier son premier livre, best-seller mondial, Le Troisième chimpanzé (1991), consacré à l’apparition de l’homme. Jusque-là ? Ce juif américain au look d’amish compassé avait passé sa vie entre les laboratoires de biologie de l’université de Californie à Los Angeles (UCLA), où il analysait les processus de transfert de sel dans la vésicule biliaire… et l’exploration amoureuse de la vie des oiseaux en pays papou. Rien à voir, a priori, avec cette nouvelle discipline qu’il a, depuis, largement contribué à inventer : l’histoire évolutionniste. Une Histoire garantie 0 % grands hommes mais avec de vrais morceaux de biologie, de géographie ou d’éthologie. Qui dépend d’abord du type de plantes poussant dans le bassin méditerranéen, des détours par lesquels passe l’idiome indo-européen ou de l’inaptitude des Vikings à communiquer avec les Inuits.
Surtout, l’histoire selon Jared Diamond est travaillée par des questions de taille XXL. Comment se fait-il que l’animal humain se soit démarqué si radicalement du chimpanzé avec qui il partage pourtant 98 % de ses gènes ? Pourquoi est-ce l’Espagne qui a conquis l’Amérique du Sud des Incas et non l’inverse ? Comment les habitants de l’île de Pâques ont-ils exploité leurs ressources écologiques jusqu’au suicide de leur civilisation ? Et, enfin, qu’avons-nous perdu, mais que nous pourrions regagner, à quitter les modes de vie tribaux pour nos actuels empires industriels ? Cette dernière question est l’enjeu de son dernier livre Le Monde jusqu’à hier. Il doit presque tout à la relation passionnée que Jared Diamond a entretenue toute sa vie avec la Papouasie-Nouvelle-Guinée. C’est à partir de cette curiosité pour les êtres naturels, et armé de ses questions, simples mais énormes, que Jared Diamond, sans être philosophe, nous propose un nouveau grand récit.
Comment passer de l’étude de la vésicule biliaire à celle de l’évolution des sociétés humaines ?
Jared Diamond : Ainsi résumé, je vous concède que mon parcours peut paraître bizarre ! Mais ce n’est pas exactement ainsi que cela s’est passé. Je pourrais commencer mon histoire dans ma chambre d’enfant sur le mur de laquelle, mon père, dès le début de la Seconde Guerre mondiale, avait affiché des cartes du monde : chaque soir il actualisait à l’aide d’épingles le mouvement des batailles et des armées dans le Pacifique et dans l’Atlantique. J’ai donc grandi avec la géographie au-dessus de mon lit. Et puis ma mère, pianiste, linguiste et institutrice, m’a appris à lire quand j’avais 2 ans : mon premier livre était une histoire des rois d’Angleterre. J’étais dévoré par le désir d’apprendre et j’aimais aussi expliquer à ma petite sœur les choses que j’apprenais. Autre chose sans doute décisive dans mon parcours, mes quatre années passées, étudiant, en Europe. Je me rendais compte que mes amis anglais, français, polonais, allemands avaient vu leur enfance irrémédiablement marquée par la guerre : qu’il s’agisse de l’exil, de la ruine ou de la nécessité de dormir sous les ponts pour se protéger des bombes américaines. Moi qui avais eu une jeunesse paisible, je prenais conscience que la géographie de votre lieu de naissance a des conséquences décisives sur votre destin.
Oui, mais la vésicule biliaire ?
Mon père était médecin et physiologiste. À la question de savoir ce que je ferai adulte, j’avais pris l’habitude de répondre :« Comme mon père. » Reste qu’à Harvard et à Cambridge, avant de me spécialiser en physiologie, j’ai aussi étudié le grec, la composition musicale, la poésie lyrique russe, la géographie ou l’ornithologie. Et j’ai compris que la pratique médicale ne m’intéressait guère : je voulais me consacrer à la recherche. C’est ainsi que je suis devenu biologiste et bientôt l’un des spécialistes mondiaux de la vésicule biliaire : un organe dont le fonctionnement est très proche du rein et de l’intestin, mais bien plus simple à observer. Et puis, à 26 ans, je suis parti un été en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Je suis tombé amoureux de ce pays où je suis retourné des dizaines de fois. J’ai alors commencé à signer des articles scientifiques sur les oiseaux de Nouvelle-Guinée. L’idée d’étudier la vésicule biliaire toute ma vie était loin de me combler.
Quel a été le déclencheur de votre future carrière ?
Il y en a eu deux. Un jour, en 1985, j’ai reçu un coup de téléphone m’informant qu’on m’avait décerné une bourse privée très prestigieuse m’accordant un traitement pendant cinq ans afin que je puisse étudier le sujet de mon choix, susceptible de faire progresser le champ de la connaissance. J’aurais dû sauter de joie, mais, en fait, je suis tombé pendant une semaine en dépression – pour la seule et unique fois de ma vie. Je me rendais compte qu’à bientôt 50 ans, je n’avais jusqu’ici rien fait qui puisse être utile au monde. Et très vite après sont nés mes deux fils. Ma plus grande interrogation est devenue : à quoi ressemblera le monde que mes enfants connaîtront en 2050 ? Ce qui était sûr, c’est que leur futur ne dépendrait pas de la vésicule biliaire. J’ai alors commencé à perdre tout goût pour les expériences de laboratoire et me suis intéressé à la vie des sociétés humaines.
Votre premier livre est consacré à comprendre ce qui a permis au « troisième chimpanzé », le futur humain, de se distinguer si radicalement des autres animaux.
Oui, l’explication classique justifiant la supériorité évolutive de ce primate par la taille de son cerveau n’était pas convaincante : car notre troisième chimpanzé a eu ce « gros » cerveau pendant plus de deux millions d’années, alors que c’est seulement il y a soixante-dix mille ans qu’un saut quantique a eu lieu, ouvrant l’homme à l’art et à un rythme croissant d’inventions. Mon hypothèse est que l’apparition de la capacité physiologique de la parole a été décisive. Elle est le fruit d’une mutation génétique portant sur seulement 0,1 % de nos gènes mais modifiant la structure de notre larynx, de la langue et des muscles qui leur sont associés. Cela a permis au troisième chimpanzé de prononcer des consonnes et des voyelles. Ce qui représente un avantage acquis au sens darwinien. Si un animal dispose de la possibilité de moduler cinq consonnes et sept voyelles, il pourra en venir un jour à parler de Sartre et de Camus, ou à construire la bombe atomique. Cependant, l’apparition du langage, qui a permis ce grand « bond en avant » de l’humanité, conserve une part de mystère. Les êtres humains, en moyenne, utilisent dans leurs échanges quotidiens environ un millier de mots ; le petit dictionnaire que j’ai sur mon bureau en contient cent quarante-deux mille. Cela nous place très loin devant le singe vert, qui est le mammifère disposant du plus vaste vocabulaire à l’état naturel, et qui émet seulement dix cris différents.
«L’agriculture a été une erreur dont l’homme se remet à peine»
Jared Diamond
L’une des conclusions les plus spectaculaires de votre travail est que l’invention de l’agriculture fut la plus grosse erreur de l’humanité.
Cette thèse heurte la croyance en un progrès linéaire. Pourtant, nous avons de nombreux éléments objectifs qui permettent d’affirmer que l’invention de l’agriculture, il y a dix mille ans, a été une catastrophe immense dans l’Histoire humaine. Encore aujourd’hui, les Bushmen du Kalahari, en Afrique australe, qui perpétuent le mode de vie des chasseurs du Néolithique, font figure de privilégiés par rapport à leurs voisins agriculteurs : ils travaillent moins, ont plus de loisirs et une alimentation saine et variée avec 2 140 calories par jour dont 93 grammes de protéines, là où les agriculteurs consomment trop de nourritures carbohydratées. Mais l’étude des squelettes qui datent du Néolithique offre des arguments bien plus éloquents : nous pouvons affirmer qu’avec l’invention de l’agriculture, la taille des êtres humains a diminué – en Turquie et en Grèce, les hommes, qui mesuraient en moyenne 175 centimètres avant l’adoption de l’agriculture, ont rapetissé jusqu’à 160 centimètres en 3 000 avant J.-C., et, dans ces pays, ils n’ont toujours pas retrouvé leur taille d’avant ! L’espérance de vie a régressé de 36 à 19 ans dans les sociétés postagricoles. Ceci s’explique parce que l’agriculture a conduit les hommes à vivre entassés (ce qui favorise les épidémies et les maladies infectieuses), à effectuer des travaux physiques très rudes et les a rendus vulnérables à la famine en cas de mauvaises récoltes. Plus encore, les sociétés agricoles ont fortement creusé l’inégalité sociale entre hommes et femmes. Pour toutes ces raisons, j’affirme que, sur le long terme, la domestication des plantes et des animaux a été une erreur dont nous nous remettons à peine aujourd’hui.
Vous faites de l’histoire, non à partir des archives écrites, mais de la biologie. D’où vous est venue cette idée de créer une discipline inédite, l’histoire évolutionniste ?
Je n’avais pas de modèle, mais pas non plus le désir de faire du nouveau pour le nouveau. Simplement, je m’intéressais à beaucoup de choses. Et j’ai eu la chance de pouvoir réorienter mon parcours universitaire selon mon désir. Car la vie académique, en général, favorise l’étroitesse d’esprit. Pour l’anecdote, lorsque mes collègues physiologistes ont réalisé que je publiais des articles sur l’ornithologie, ils ont voté contre une promotion que je n’ai due qu’à la confiance du directeur du département de biologie de l’université de Californie. Et lorsque, aujourd’hui, je demande aux historiens pourquoi ils ne s’intéressent pas à mes travaux, ils me répondent que je ne travaille pas sur des archives matérielles. Mais je n’ai pas forcément besoin de savoir lire le hittite pour comprendre les débuts de l’agriculture en 8 500 av. J.-C. ! Par contre, il est nécessaire de connaître la géographie, les origines du blé, les comportements du mouton, la biologie. Par ailleurs, l’histoire évolutionniste que je défends emprunte aux sciences naturelles leurs méthodes comparatives et expérimentales. Je rapproche des sociétés très éloignées – dans l’espace ou dans le temps – afin d’éclairer leurs forces et leurs faiblesses. Et je tiens compte de toutes les variables mesurables auxquelles nous avons accès. Disons que je suis un historien comparatif sur le long terme.
Une telle méthode vous a permis d’éclairer, avec De l’inégalité parmi les sociétés, le ressort de la domination des Européens. Les philosophes ont tendance à penser que c’est l’invention de la philosophie à Athènes, en 500 av. J.-C., qui a fait la différence…
Malgré tout le respect que j’ai pour la philosophie, je vais vous décevoir. Si vous regardez les forces en présence en 3 000 av. J.-C., il était déjà clair que les peuples qui allaient conquérir le monde vivaient aux alentours du « croissant fertile » – entre les actuels Iran, Irak, Syrie, Liban ou Jordanie. Pourquoi ? Parce qu’ils avaient déjà la première écriture, la première agriculture productive, le premier État. Cet avantage, ils le devaient à un environnement exceptionnel : une concentration de plantes – blé, pois chiche, lentille, lin –, d’espèces animales essentielles à l’agriculture et à l’alimentation, au transport et à la guerre – chiens, moutons, porcs, bovins, chevaux – et la possibilité d’échanges. Par comparaison, en Australie, vous ne trouvez aucun mammifère domesticable et une seule noix cultivable. Il n’y a donc pas de supériorité génétique de l’homme eurasiatique, mais un privilège géographique. C’est ce qui permettra à Platon de philosopher : il y a des individus aussi intelligents que lui en Nouvelle-Guinée, mais sans l’écriture, ils ne peuvent transmettre quoi que ce soit. Autrement dit, dans le processus qui mène à la domination de l’Europe sur le monde, j’ai bien peur que Platon ne soit qu’un épiphénomène tardif.
Paru en 2005, Effondrement a marqué les esprits. Vous y étudiez l’extinction des civilisations du passé qui ont détruit leur écosystème. Cette démarche est-elle orientée par les menaces qui pèsent sur notre monde ?
Inquiet devant les ravages écologiques actuels, j’ai en effet recherché, dans l’Histoire, des cas de civilisations qui se sont effondrées pour avoir dévasté leur ressources naturelles. Cette recherche s’est avérée fructueuse, et je suis tombé sur plusieurs cas d’écocides éloquents. Les sédiments étudiés par les palynologues [qui étudient les pollens] dans les sols du Groenland nous permettent ainsi de retracer l’évolution de la société viking établie sur cette île : cette société, d’abord florissante, s’est éteinte aux alentours du XIVe siècle, à cause de mauvais choix de matières premières. Les Vikings ont largement défriché les forêts du Grand Nord, pour construire leurs maisons et se procurer du bois de chauffe – là où leurs voisins inuits, plus respectueux de l’environnement, avaient appris à utiliser du blanc de baleine pour se chauffer et s’éclairer. L’alimentation des Vikings n’était pas liée à la pêche et à la chasse, ce qui leur aurait assuré des ressources abondantes, mais également aux troupeaux qu’ils faisaient paître, qui ont brouté et piétiné les sols, favorisant l’érosion. Petit à petit, le bois et le fourrage sont venus à manquer. On trouve un scénario similaire sur l’île de Pâques. Lorsque le capitaine Cook aborde cette île en 1774, il décrit les Pascuans comme des êtres« petits, maigres, effarouchés et misérables ». Cette observation est étrange, quand on pense aux somptueuses statues que les Pascuans ont été capables d’ériger. L’île de Pâques a été peuplée vers l’an 900, la civilisation pascuane a connu son apogée vers 1200, mais les ressources se sont raréfiées suite à de vastes déforestations ; la radiodatation des noix de palmier montre que le palmier a disparu sur l’île autour de 1500. Lorsque les Européens y arrivent, l’île de Pâques est devenue rase et aride. Citons encore le cas de la civilisation des Anasazis, qui s’est développée dans l’actuel état du Nouveau-Mexique, aux États-Unis : cette civilisation qui a duré du début de notre ère jusqu’en 1300 a laissé de magnifiques complexes de villages troglodytes, attestant de sa prospérité, avant de les abandonner. Que s’est-il passé ? Les Anasazis ont construit un système d’irrigation des cultures très impressionnant, avec des rigoles maçonnées, mais qui n’a pas tardé à épuiser les nappes phréatiques peu profondes de la région. Finalement, les Anasazis ont dû fuir la sécheresse. Les paléo-écologistes ont pu reconstituer très précisément l’évolution de la végétation dans cette région en étudiant des dépotoirs de néotomes, c’est-à-dire les déjections des rats fossilisées, et leur contenu. Dans les dépotoirs qui datent d’avant l’an 1000, on a retrouvé des traces de pin du Colorado et de genévriers, ce qui indique la présence de forêts ; ensuite, ces traces disparaissent et la région se désertifie.
À partir de ces exemples, devrions-nous revoir nos choix énergétiques, et notamment l’option du nucléaire ?
Les rares accidents nucléaires, à Tchernobyl ou à Fukushima, sont inquiétants, mais notre aliénation au charbon et au pétrole est bien pire : elle cause des accidents tous les jours. Il y a des villes en Chine où, à certaines périodes, il n’est plus possible de voir ses mains tant l’atmosphère est polluée ! Quant aux éoliennes, elles sont peu productives et tuent des oiseaux. La France tire l’essentiel de son énergie de ses centrales nucléaires et n’a jamais connu d’accident. Ce qui montre qu’en étant très précautionneux et prudent, le nucléaire reste une bonne solution. Bien sûr, le problème de la gestion des déchets est grand, mais moins important que le reste.
«Même les élites réalisent que nous vivons tous dans le même monde»
Jared Diamond
Êtes-vous plutôt optimiste ou pessimiste quant à notre capacité à surmonter la crise écologique ?
Je vois arriver quelques nouvelles encourageantes, et d’abord une prise de conscience de plus en plus large de notre responsabilité écologique : aux États-Unis, les républicains ont fini par admettre la réalité du changement climatique provoqué par l’activité humaine. Certes, le déni des élites – protégées des désastres écologiques par leur mode de vie – est l’un des facteurs fondamentaux de l’effondrement des civilisations, mais même elles prennent conscience que nous vivons tous dans le même monde. Ainsi, je siège au conseil d’administration de la World Wildlife Fund qui a développé un partenariat avec Coca-Cola. Pourquoi ? Parce que leurs sodas, fabriqués dans quatre-vingts pays, sont surtout composés d’eau. Ils ont donc intérêt à préserver une eau potable. De même, l’un des responsables du conseil d’administration de l’association Conservation International est le fils du fondateur de Walmart, plus grande entreprise de distribution du monde. Pourquoi ? Parce que cette association a emmené ce passionné de plongée dans un coin du Pacifique où il a été choqué de ne pas voir un seul requin en quinze jours. Depuis, Walmart s’est engagé à ne pas vendre d’espèces de poissons menacées d’extinction. Vous voyez, il y a une série de signaux, pas assez nombreux à mon goût, qui indiquent que les choses changent dans le bon sens : les grandes compagnies savent que leurs profits futurs dépendent de la préservation de l’environnement. Je réponds donc : il y a 51 % de chances que nous résolvions les problèmes du monde, et seulement 49 % que nous détruisions la planète…
Avez-vous des exemples montrant que les sociétés sont capables de changer radicalement ?
Ce sera l’enjeu de mon prochain livre que j’espère sortir dans cinq ans. J’étudie tous les grands changements réussis : celui du tournant industriel du Japon à la fin du XIXe siècle, de la réunification allemande dans les années 1990, ou la façon dont la France a affronté la décolonisation, notamment en Algérie. Or ces évolutions positives ont chaque fois été rendues possibles par un gouvernement décidé. La perspective d’un gouvernement mondial semble donc inéluctable si nous voulons véritablement affronter la crise écologique. Cela dépend en grande partie de l’attitude dans les prochaines décennies des États-Unis, ce grand point d’interrogation dans un monde qui lui-même est devenu un grand point d’interrogation.
Vous écrivez dans votre dernier livre, Le Monde jusqu’à hier,qu’il nous faut « devenir des paranoïaques constructifs ».Qu’est-ce que cela signifie ?
C’est l’un des enseignements de mes séjours en Nouvelle-Guinée. Un jour, je m’apprêtais à monter ma tente au pied d’un grand arbre, mes guides m’ont pris pour un fou : un arbre peut tomber dans la nuit ou recevoir la foudre. Je répliquais que l’arbre était solide, que le ciel était dégagé et que le risque était donc minimal. Mais j’ai compris plus tard que lorsque vous passez des milliers de nuits dans la jungle, les risques s’accumulent. Nous nous inquiétons des grandes catastrophes – crashs aériens, accidents nucléaires, attaques terroristes –, mais les chances d’être tués ainsi sont absolument négligeables. Au contraire, les risques d’accidents domestiques s’accroissent chaque jour un peu plus. Regardez le nombre de vieilles personnes qui décèdent en glissant dans leur douche. Donc, rester vigilant dans chacun de nos gestes est essentiel : voilà ce que j’appelle la paranoïa constructive.
Source : Philosophie Magazine