“C’est comme si nous avions notre petite maison à nous, nous n’avons pas l’impression de vivre dans un bâtiment collectif.” Cécile, la quarantaine, est l’heureuse locataire d’un duplex dans la résidence L’Espéria, inaugurée en 2014 à Montreuil-Juigné (Maine-et-Loire). Une HLM de 23 logements gérée par Angers Loire Habitat, office public pas peu fier de son premier bâtiment collectif “à énergie positive”.
Non seulement L’Espéria ne nécessite que très peu d’énergie pour son fonctionnement, mais la production énergétique par le bâtiment lui-même, ici de l’électricité photovoltaïque, lui assure un bilan positif. Sur l’année, l’immeuble relève le défi de produire plus d’énergie renouvelable qu’il ne consomme d’énergie non renouvelable.
De quoi obtenir le label Bepos (Bâtiment à énergie positive) remis à l’immeuble par Effinergie, un collectif associatif qui regroupe des collectivités locales, des associations, des acteurs régionaux et des représentants des filières de la construction et de l’énergie. Très exigeant sur la performance thermique, Bepos préfigure ce que sera probablement la réglementation du bâtiment après 2020.
Pour relever le challenge énergétique, les architectes d’Espéria devaient le concevoir de façon à profiter le plus possible des rayons du soleil pendant l’hiver, en évitant que le thermomètre s’affole l’été. Ils ont ainsi dessiné des brise-soleil et pensé des appartements traversant, qui ajoutent à l’agrément de leurs occupants. “On profite au maximum de la lumière et du soleil, confirme Cécile. Et l’été dernier, malgré les fortes chaleurs, on n’a jamais dépassé les 25 °C.”
Ce champion Bepos ne se distingue pas seulement par sa performance énergétique. Ses concepteurs ont ainsi mesuré son impact environnemental tout au long du chantier de construction et continuent de le faire depuis qu’il accueille ses premiers habitants. Même sa démolition a fait l’objet d’études d’impact.
D’où la recherche de matériaux si possible locaux et biosourcés. Ainsi le bois a été utilisé pour l’ossature, dans les murs porteurs, dans les planchers et en parement. Seules les fenêtres sont en PVC. Outre l’aspect esthétique non négligeable, le bois apporte un confort acoustique, et permet, associé à des peintures écologiques, de préserver la qualité de l’air intérieur. Et, cerise sur le toit, ce bâtiment a eu le bon goût de ne pas grever la facture.
“Comparé à la moyenne de nos coûts de construction, révèle Nicolas Vigier, un tel immeuble n’est que 7 à 10 % plus cher, ce qui veut dire que si nous en réalisions de façon systématique, les coûts seraient identiques à ceux des résidences traditionnelles.”
Au 1er janvier 2021, toute construction neuve en Europe devra avoir une consommation d’énergie quasi nulle, en associant par exemple un bâtiment passif à une production locale d’énergie renouvelable. Pour Nicolas Vigier, directeur du patrimoine d’Angers Loire Habitat, l’objectif était clair : anticiper et expérimenter cette future norme nationale, mais en proposant des lieux de vie tout à la fois confortables et abordables.
“Nous ne voulions pas construire des usines à gaz chères à l’investissement et coûteuses à exploiter, des appartements gadgets, dont on peut soi-disant piloter les consommations sur des écrans. Nous voulions avant tout que les occupants ne fassent pas la différence avec un logement traditionnel.”
Hormis bien entendu sur la dernière ligne de la facture d’énergie. “C’est un appartement tout à fait classique, nous confirme Ludovic, qui habite au rez-de-chaussée. On ne voit pas la technologie, mais on y gagne.” Combien exactement ? Selon le bailleur, la facture de chauffage est réduite de 60 % par rapport au parc HLM moyen, soit de l’ordre de 15 euros économisés chaque mois pour un appartement avec deux chambres.
“C’’est un peu trop tôt pour le dire, tempère Cécile. Nous n’avons pas assez de recul.” Il aura fallu ainsi une saison de chauffe, et des locataires frigorifiés le premier hiver, pour régler au mieux le pilotage de la chaufferie au bois. Les habitants ont désormais remisé plaids et cols roulés.
“Nous sommes très bien chauffés et on s’aperçoit que le chauffage fonctionne peu, poursuit Cécile. Quand on pose la main sur les radiateurs, ils sont presque froids, et quand il y a du soleil, il fait tellement bon qu’on oublie de se couvrir pour sortir !”
La gestion énergétique d’un tel immeuble s’est avérée plus problématique que prévu. Sa très bonne isolation alliée à une capacité à capter au maximum les rayons du soleil d’hiver entraînent des réactions thermiques lentes, et difficiles à anticiper.
“À vrai dire nous ne nous attendions pas à ce que ce soit aussi complexe, admet d’ailleurs Nicolas Vigier. Et nous allons encore améliorer l’installation en ajustant la commande de la chaudière aux données fournies par un serveur météo, de manière à anticiper dès minuit le programme de chauffe pour le milieu de journée suivant.”
Il suffirait donc de s’y mettre… sans oublier que ces immeubles à énergie positive ne sont pas des îlots écolos, mais s’intègrent dans une géographie urbaine. À quoi servirait-il de construire des bâtiments qui consomment zéro énergie, et même qui produisent un peu plus qu’ils ne consomment, si c’est pour nous ruiner en pétrole dès qu’on en sort pour aller travailler ou faire nos courses ?
Voilà un des défis à relever par promoteurs et architectes. Effinergie l’a bien compris, qui les oblige à l’analyse de l’énergie grise – celle nécessaire à la production des matériaux et à la construction proprement dite – et de la mobilité avant d’accorder son label Bepos.
L’éco-responsabilité du bâtiment de demain dépasse le “simple” enjeu de performance thermique. Il en va de même pour le bonheur des occupants “pionniers” de l’Espéria. Derrière les brise-soleil, on y vit bien. “On adore notre appartement, lance Cécile dans un éclat de rire. On a une terrasse, un palmier, une mangeoire à oiseaux, et notre petite fille de deux ans et demi est heureuse quand les oiseaux viennent se poser pour manger les graines.” Comme si la nature reprenait ses droits sur nos balcons.