Elle avait déjà présenté, depuis 2003, plusieurs trajectoires faisant la part belle aux énergies vertes. Elle garde donc le cap, en le poussant à son extrême limite. « Nous persistons et nous signons, commente Thierry Salomon, vice-président de l’association. Nos choix, dont certains pouvaient paraître osés il y a quelques années, sont aujourd’hui étayés par les progrès réalisés dans les solutions alternatives. »
Les énergéticiens de négaWatt ne prônent évidemment pas le retour à la chandelle. Leur recette, que certains considéreront comme miraculeuse, d’autres comme utopique, fait appel à deux ingrédients de base : la sobriété énergétique (lutte contre les gaspillages, adoption de modes de vie plus économes), et l’efficacité énergétique (amélioration des performances des logements, transports ou équipements). Ensemble, ces deux leviers permettraient de diviser par deux la consommation totale d’énergie en 2050. Un objectif ambitieux, mais qui n’est autre que celui voté par les parlementaires dans la loi de transition énergétique promulguée en août 2015.
Il y faudrait un vaste programme de rénovation thermique de l’ensemble des bâtiments (permettant une baisse de 56 % de la consommation dans le secteur résidentiel et tertiaire), ainsi qu’une mutation accélérée des transports (pour une réduction de 62 % des besoins) : déploiement massif de véhicules électriques et hybrides, mais aussi développement du rail, des transports en commun et du covoiturage, réduisant le parc automobile. Des gains devraient également être réalisés dans l’industrie, notamment par un meilleur recyclage.
Plus de combustibles fossiles
Comment satisfaire une demande en énergie même réduite de moitié ? Par des ressources intégralement renouvelables, répond négaWatt, qui en fait la troisième clé de sa boîte à outils, aux côtés de la sobriété et de l’efficacité. Cet objectif-ci peut sembler encore plus difficile à atteindre. Fin 2015, la part des renouvelables était de 14,9 % en France, la loi de transition énergétique prévoyant seulement de monter à 32 % en 2030. Et, si l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) a elle aussi élaboré un scénario « 100 % renouvelable », celui-ci ne porte que sur la partie électrique, soit un quart du bouquet énergétique global de la France.
Les « négaWattiens », eux, proposent de tirer un trait définitif sur les combustibles fossiles (pétrole, gaz et charbon) et sur les carburants dérivés du pétrole (essence et diesel), en leur substituant de l’électricité et du biogaz d’origine renouvelable. Ce qui suppose un parc de véhicules entièrement converti à l’électricité ou à des moteurs hybrides électricité-gaz.
Dans le même temps, ils renoncent complètement à l’atome, qui fournit aujourd’hui les trois quarts du courant consommé en France. Les 58 réacteurs nucléaires seraient tous mis à l’arrêt après quarante ans de fonctionnement, soit, pour les plus récents d’entre eux, entre 2030 et 2040.
Dans leur modèle alternatif, la biomasse (bois, sous-produits de l’exploitation forestière, des scieries et des industries de transformation, résidus agricoles, déchets du secteur agroalimentaire…), qui est déjà la première ressource renouvelable dans l’Hexagone, monte encore en puissance, suivie de près par l’éolien et, à un moindre niveau, par le solaire photovoltaïque et le biogaz.
Une France neutre en carbone
Cette mutation radicale est-elle réaliste ? « Les objectifs fixés aux différentes filières sont tout à fait atteignables », pense Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER). A ses yeux, « le défi le plus difficile à surmonter est la réduction de la consommation, qui suppose des réorganisations industrielles et des évolutions sociétales drastiques ».
Les experts de négaWatt soulignent en tout cas les retombées bénéfiques de leur approche. Au niveau environnemental d’abord. Leur scénario permettrait à la France de devenir « neutre en carbone » en 2050. C’est-à-dire de n’avoir plus aucune émission nette, non seulement de CO2, mais aussi de l’ensemble des gaz à effet de serre. Cela, à la faveur de nouvelles pratiques agricoles (comme l’agroforesterie) stimulant la fonction de puits de carbone naturel des forêts et des terres agricoles. Et avec comme avantage colatéral une amélioration de la qualité de l’air, de l’eau et des sols.
Au niveau socioéconomique ensuite. D’après leurs calculs, que contesteront sans doute les industriels de l’énergie lorsqu’ils les auront passés à la loupe, cette transition permettrait, sur le cumul de la période 2020-2050, une économie globale de 370 milliards d’euros. Cela, en prenant en compte les dépenses engagées dans la transformation des secteurs de l’énergie, du bâtiment et des transports, mais aussi les économies réalisées sur la consommation et les importations d’énergie, toute la production étant devenue « made in France ».
Dans le même temps, toujours selon leurs calculs, le bilan des postes perdus dans certaines branches (énergies autres que renouvelables, fret routier, transport aérien…) et de ceux gagnés dans les activités en expansion (renouvelables, rénovation des bâtiments…) serait très largement excédentaire, de 380 000 emplois pérennes en 2030, et plus de 500 000 en 2050.
Même s’il s’agit d’un processus de longue haleine, « il y a urgence » à engager cette transition, pour lutter contre le réchauffement planétaire tout en sortant du nucléaire, plaide Thierry Salomon. L’accord de Paris issu de la COP21 vise lui-même la neutralité carbone « dans la seconde moitié du siècle ». Et l’Allemagne, même si son abandon progressif de l’atome s’accompagne temporairement du maintien d’un parc important de centrales au charbon, mise déjà toutes ses cartes sur les renouvelables. « Chaque année d’atermoiement, insiste l’expert, obère notre avenir climatique et énergétique. »