L’économie circulaire fera bientôt son entrée dans la loi française. Sur le terrain, l’urgence est telle que les acteurs s’organisent. Mais le secteur manque cruellement d’instances pour le diriger.
«En 2014, l’Homme a extrait du sol les dernières réserves de terbium qui sert à la fabrication des écrans à rayons X. D’autres métaux vont disparaître : l’indium, le palladium et le zinc dès 2023, l’or en 2025, le plomb en 2030, le cuivre en 2039, et même le fer… vers 2072 » rappelle l’Institut de l’économie circulaire.
Alors voilà, c’est fini ? Non, pas encore ! L’économie circulaire peut être l’alternative.
Son mode opératoire est connu de tous, représenté sous la forme d’une boucle qui relie dans l’ordre : « ressources», « écoconception », « production», « traitement déchets ». Ces déchets redeviennent pour partie des « ressources », qui elles-mêmes redeviennent des « produits », etc.
Les enjeux sont désormais identifiés : développement durable (réemploi, objets réparables), relocalisation d’activités, création d’emplois, production d’énergie verte, priorité à l’usage plutôt qu’à la possession…
Mais qui sont ceux qui actionnent aujourd’hui les leviers de cette machine à changer le monde ?
À l’échelle européenne, on se donne le temps
L’économie circulaire a encaissé un sérieux revers, avec l’abandon par Bruxelles, en décembre 2014, des « paquets » législatifs « qualité de l’air » et « économie circulaire », malgré la levée de bouclier unanime des ministres européens de l’Environnement… L’Europe veut en fait prendre le temps.
Le vice-président de la Commission européenne Frans Timmermans l’a confirmé dans un courrier adressé à Danielle Auroy, députée EELV et présidente de la Commission des Affaires européennes à l’Assemblée nationale : « L’intention de retirer la proposition législative (concernant le paquet économie circulaire) est motivée par le choix de la commission de revenir avec un paquet plus ambitieux, qui ne couvre pas exclusivement la gestion des déchets, mais également les autres éléments du cercle de l’économie circulaire, comme la création d’un marché pour les matières premières après recyclage ».
Une bonne nouvelle, à condition que le sujet ne soit pas reporté aux calendes grecques.
À l’échelle nationale, on pose des jalons
En France, tout un arsenal a été déployé : Paris organise les « États généraux de l’économie circulaire » du Grand Paris le 11 mars prochain. En juin prochain se tiendront les deuxièmes « Assises de l’économie circulaire » organisées par l’Institut de l’économie circulaire et l’Ademe.
L’économie circulaire s’apprête, aussi et surtout, à faire son entrée dans la loi transition énergétique (adoptée en première lecture en octobre dernier).
« Les décrets d’application pourront apporter davantage de concret » commente Danielle Auroy.
Une autre percée de l’économie circulaire a été ajoutée au chapitre des plans des déchets qui pourraient être confiés aux régions par la loi NOTRe (pour nouvelle organisation territoriale de la République).
En région, on agit
C’est au moment de la Conférence de l’environnement de septembre 2013, que les régions, via l’Association des régions de France, se positionnent comme les acteurs territoriaux privilégiés de l’économie circulaire. L’échelle régionale est perçue comme la plus pertinente, les régions pilotant ou conduisant déjà les schémas régionaux de développement économique, de l’innovation, du climat-air-énergie…
C’est bien dans les régions que la dynamique est enclenchée : elles ont quasiment toutes voulu inclure un volet économie circulaire dans leur dernier contrat plan État-région. En novembre dernier, le guide méthodologique de 98 pages commandé par l’Ademe « sur les stratégies régionales de l’économie circulaire » capitalise le travail accompli dans les régions. Ce guide marque une nouvelle étape. Jacques Deschamps, directeur de l’action territoriale Ouest de l’Ademe commente : « Ce qu’on souhaite à présent, c’est que chaque région positionne son action sur ce cercle en disant : « maintenant il faut aussi que je fasse tout le reste ».
C’est bien dans les régions que la dynamique est enclenchée : elles ont quasiment toutes voulu inclure un volet économie circulaire dans leur dernier Contrat plan État-région.
En PACA, on agissait déjà, jusqu’ici, au niveau de zones d’activités en aidant les entreprises à se convertir à l’économie de fonctionnalité… La région va s’employer désormais à poser sa stratégie. « À la fin 2015, on aura un panorama exhaustif de ce qui peut marcher dans notre région » affirme Dominique Flahaut, directrice adjointe et chef de service « Développement soutenable » à la région PACA.
Et les moyens existent
Petit hic, sans stratégie européenne forte, y aura-t-il suffisamment de moyens à la disposition des régions, autorités de gestion ? Étonnamment, « oui » affirme-t-on dans les régions. « 20 % du Feder peuvent être utilisés aujourd’hui par les régions pour l’économie circulaire »estime Dominique Flahaut. Une chef de projet Économie circulaire en région est du même avis : « Les dispositifs financiers pour l’économie circulaire, à destination des entreprises, sont déjà tous quasiment en place ! ». Et d’en citer deux : « Horizon 2020 », qui prend la suite du 7e PCRD ou encore « Life + ». Certes, on n’y trouve pas mention explicite des termes « économie circulaire », mais il s’agit bien de cela : « écoinnovation », « écologie industrielle », « énergie verte »…
Les régions savent jouer le rôle d’interface avec les entreprises en cofinançant (avec l’Europe, l’État, l’Ademe…) des « opérations collectives». Sur ces opérations, les porteurs de projet se positionnent. Qui, une chambre consulaire ; qui, un centre technique ; qui, une fédération d’entreprises, pour mettre en place des actions aidant les TPE-PME, etc. à prendre le virage de l’économie circulaire. Enfin, Dominique Flahaut s’agace un peu… «On dirait toujours que tout passe par la subvention. Il n’y a pas que cela. Il faut aussi que gens travaillent ensemble. Il y a un gros travail d’animation régionale qui nécessite peu d’argent. Les régions n’auraient pas eu directement cet argent par l’Europe. On n’est aidés par personne pour faire ce travail-là ».
Quelques gros blocages demeurent
Bref, échaudées par la tournure prise par le développement durable, les directions de l’environnement dans les régions, ont le moral regonflé à bloc… « Il y a un effet de mode : saisissons-le ! lance une experte de l’économie circulaire en Rhône- Alpes. Surtout que dans « économie circulaire », il y a le mot « économie» : ce qui permet de raccrocher les entreprises ». Ces dernières s’organisent également. Les CCI et le Conseil national de l’industrie (CNI) ont pris les choses en main.
Le CNI conduit des réflexions pour introduire l’économie circulaire dans les filières industrielles stratégiques.
Le CNI conduit des réflexions pour introduire l’économie circulaire dans les filières industrielles stratégiques… Néanmoins quelques gros blocages demeurent… « Des groupes comme Veolia ne s’occupent pas de réemploi » considère un responsable de chantier d’insertion dont l’activité consiste à reconditionner des ordinateurs pour du réemploi. Rien n’incite pour l’heure certains grands groupes à s’engager dans l’économie circulaire, à moins d’y être contraints… « Le prix du traitement des déchets n’est pas assez élevé ! »considère Dominique Flahaut. L’opinion publique peut aussi pousser dans ce sens…
Jacques Deschamps en est convaincu : « Je crois beaucoup au pouvoir de la commande, une fois que les citoyens et que les donneurs d’ordre auront pris conscience de leur rôle : ils pourront changer la production, y compris celle des grands groupes ».
Source : La lettre du cadre