Les changements climatiques frappent l’Afrique avec une violence particulière : le réchauffement, le dérèglement des saisons, la désertification en zone sahélienne, déstabilisent des territoires immenses. Ces drames se combinent avec une démographie encore explosive : plus de 6, voire 7 enfants par femme, cela signifie, pour certains pays, comme le Niger ou le Mali, un doublement de la population en moins de vingt ans. Le Nigeria, la République démocratique du Congo, l’Ethiopie vont approcher chacun 400 millions d’habitants d’ici 2050.
Or, sur l’ensemble du continent, et malgré une croissance économique localisée à diverses zones urbanisées, le déficit en emplois est déjà très important. Il y aura demain, particulièrement en zone rurale, des centaines de millions de jeunes « en trop ». Le plus grand nombre se dirigera vers les villes surpeuplées ; dans la foulée, les flux s’orienteront massivement vers l’Europe.
On dit qu’il faut traiter les migrations « à la source », et créer des emplois sur place, avec un effort spécial pour stabiliser les populations rurales. Les campagnes et la brousse ont peu à attendre de l’industrie et des services : c’est de l’agriculture que cette stabilisation dépend. Mais pas de cette agriculture « moderne » à laquelle s’attachent encore les bailleurs de fonds. On a vu en Inde la « révolution verte » provoquer la dégradation des sols et l’assèchement des nappes, asservir les paysans aux importations et à l’endettement. On sait, en outre, que ces formules sont peu performantes en termes de bilan carbone.
Seule manière de freiner les grandes migrations
Si l’Afrique suivait ce modèle occidental qui a vu, par exemple en France il y a un demi-siècle, la proportion des actifs agricoles divisée par douze en deux décennies, les effets seraient catastrophiques pour l’emploi. Il en résulterait une poussée extrême de la pression migratoire.
L’agriculture familiale est, en revanche, la piste à suivre. Elle est intense en emplois, en même temps qu’elle contribue à la réduction de la pauvreté et de la pénurie alimentaire. Elle est, de très loin, le premier employeur au monde. Mais ses performances sont en général médiocres en termes de qualité, de rendements et d’impact sur l’environnement. Sa modernisation pertinente est possible : agroécologie intensifiée, aménagement résilient des territoires ruraux, restauration des couverts forestiers.
Ces approches sont, en outre, les plus efficaces pour le climat : une meilleure teneur des sols en matière organique et une bonne gestion agro-forestière améliorent le bilan carbone. Délaissé par l’aide internationale comme par un trop grand nombre de gouvernements locaux, un développement rural axé sur l’agriculture familiale offre des solutions sérieuses, aussi bien économiques que sociales et écologiques pour les pays du Sud. Il est la seule manière de freiner les grandes migrations qui s’annoncent. Il doit être au plus haut sur l’agenda de la COP21.
Robert Lion (Président d’Agrisud International et ancien directeur général de la Caisse des dépôts) et Geneviève Férone Creuzet (Vice-présidente d’Agrisud International et présidente de Casabee).
Source : Le Monde