Imaginons une scène du quotidien kényan. Un homme est attablé dans l’un des nombreux cafés bondés et bruyants du centre de Nairobi. Il porte un pull rouge seyant tout en sirotant son soda glacé. Il ne se doute pas un instant qu’en mettant son pull ce matin et en buvant son soda, il participe à une petite révolution verte pour les industries : le rondin écologique.
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Pour comprendre son origine, reculons de quelques mètres, derrière le comptoir où un barista s’agite devant sa machine à expresso. Les grains de café qu’il moud proviennent des hauts plateaux du centre du pays, dans la région du mont Kenya. Là, dans les cultures de caféiers, des femmes font la récolte. Puis un procédé mécanique débarrasse les grains de café de leur enveloppe. Ces coques, ou exocarpes, impropres à la consommation, sont habituellement écartées et jetées. Mais, depuis 2006, Lean Energy Solutions les récupère pour les valoriser.
Mélange de déchets végétaux
L’entreprise kényane a fourni aux ouvrières des plantations de grandes bâches en plastique noir et, contre rémunération, leur demande d’y verser les coques afin qu’elles sèchent au soleil. Elles seront ensuite transportées par camion dans l’une des usines de rondins de la société. Dans celle de Kiambu, située près de la capitale kényane, il n’y a même pas besoin de transport. L’usine se trouve en face d’un producteur de café. Reliant en hauteur les deux bâtiments, un convoyeur d’une cinquantaine de mètres achemine les coques, rachetées à moindre coût, jusque dans une grande salle où elles forment des monticules de plusieurs mètres.
Puis les coques sont mélangées à d’autres déchets végétaux récupérés par l’entreprise : sciure de bois, bagasse de canne à sucre et résidus de charbon. Encore humide, le mélange traverse un immense séchoir au bout duquel un compresseur l’agglomère et le conditionne en rondins au fort pouvoir calorifique. Chaque jour, cette usine transforme 80 tonnes de débris en 40 tonnes de rondins que quatre camions porteront à ses clients.
Lean Energy a passé des contrats avec douze sociétés basées au Kenya et deux en Tanzanie qui ont toutes installé une chaudière industrielle dédiée. Parmi les clients les plus importants, on compte les géants de l’agroalimentaire Unilever, Coca-Cola, Pepsi ainsi que des sociétés de textile comme Spinners & Spinners. C’est dans les bâtiments de cette dernière que nous nous rendons pour observer comment de coques de grains de café font tourner l’usine.
Deux opérateurs chargent une immense chaudière en fonte de pelletées de rondins afin de maintenir la pression entre 7,5 et 8,5 bars jour et nuit. L’eau froide bout rapidement et produit une vapeur à 250 °C qui se faufile à travers les conduits de l’entreprise de textile jusqu’au département des teintures où, par imprégnation et vaporisage, les fibres textiles qui serviront à tricoter le pull de notre buveur de soda prennent leur jolie teinture rouge carmin.
D’ailleurs, qu’en est-il de son soda ? Il faut, pour le savoir, faire 350 km en direction de l’est du Kenya, dans l’usine Coca-Cola de Kisumu. Là, une chaudière semblable a été installée à l’extérieur du bâtiment mais la vapeur produite y est utilisée pour nettoyer les bouteilles de verre vides et transformer le sirop concentré en boisson gazeuse.
Un quart d’économies par rapport au mazout
« Auparavant, toutes ces usines utilisaient des chaudières au mazout ou au diesel, explique Dinesh Tembhekar, directeur de Lean Energy. Pour les convaincre, nous leur avons proposé d’installer à nos frais notre chaudière à rondins écologiques à côté de leur usine afin de produire une vapeur qu’on leur vendait 25 % moins cher que leurs dépenses en mazout. Ainsi, ils étaient doublement gagnants. »
Cette stratégie verte a permis à Lean Energy de signer des contrats de huit ans avec ces compagnies et de bénéficier d’une ligne de crédit de l’Agence française de développement (AFD, partenaire du Monde Afrique). « Produire une tonne de ces rondins revient à créer douze jours de main-d’œuvre pour un Kényan et à réduire d’une tonne les émissions de C02, poursuit-il. Les industries locales n’ont plus besoin d’importer du diesel ou du mazout des pays du Golfe. Tout est fait sur place et reste sur place. »
Modèle de succès kényan dans les énergies renouvelables, Lean Energy emploie 400 personnes à travers le pays, dont une majorité de femmes en travail temporaire. « Chaque année, nous grandissons de 40 % et doublons notre personnel », lance M. Tembhekar. Une croissance insolente qui lui a permis d’installer son entreprise dans de nouveaux locaux et d’établir des partenariats avec le groupe français Schneider Electric. Désormais, elle s’est lancée aussi sur le marché de l’énergie solaire en proposant des éclairages publics photovoltaïques et, à l’instar de D. Light ou de M-Kopa, des kits solaires domestiques pour les foyers kényans sans électricité.
Prochaine étape ? « Le marché rwandais puis, peut-être, ougandais », confie-t-il à discrétion. Musique d’avenir ambitieuse. « Le continent est vaste, regorge de solutions énergétiques vertes et de ressources inépuisables. » Il tapote sur le bureau puis se redresse sur sa chaise. « Vous voulez un café ? »