La lutte contre le réchauffement climatique s’est trouvée récemment des alliés de poids, quoique très inattendus : les gestionnaires de fonds de pension et les tribunaux. Une vraie note d’espoir en cette fin d’année chaotique.
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Essayons de conclure sur une note positive cette étonnante année de rodéo politique. En effet, peu de champions confirmés ont réussi à se maintenir sur leur monture, même si à la fin c’est bien un authentique cow-boy qui a raflé la mise, obscurcissant soudainement l’horizon lumineux que semblait avoir dégagé la COP 22 à Marrakech, en novembre dernier. Les Américains ont élu à leur tête l’un des plus célèbres climato-sceptiques de la planète, Donald Trump. Sommes-nous pour autant rentrés dans une ère de grand détricotage de nos acquis ? Pas sûr.
La transition écologique, un bon business
En y regardant de plus près, il semble qu’un point d’inflexion ait bel et bien été franchi. Il paraît difficile de nier la réalité du changement climatique ; la montée en puissance des énergies renouvelables semble répondre à une tendance de fond, d’autant plus forte qu’elle repose désormais sur des fondamentaux économiques solides. La transition écologique semble un bon business, pour parler de de façon prosaïque et c’est peut-être là notre meilleur allié. Un descendant de John Rockfeller disait lui-même récemment que si son aïeul avait été vivant en ce début de siècle, il serait devenu un magnat de l’énergie solaire.
Enfin, un autre allié inattendu se révèle dans les mécanismes de la gouvernance de la finance institutionnelle. Les grands fonds de pension publics, les plus grands argentiers de la planète, vivent une réalité plus contrastée qu’il n’y parait. Ces fonds sont dirigés par des administrateurs, des trustees, qui doivent gérer en prudent men, c’est-à-dire en bons pères de famille, au titre de leurs obligations fiduciaires. Dans le droit anglo-saxon, ce sont bien ces trustees qui restent responsables devant le juge et peuvent être traduits en justice par les bénéficiaires du fonds (retraites ou futurs retraités).
Ces trustees ne se sont pas soudainement préoccupés des poumons de leurs bénéficiaires, mais plutôt du risque encouru
Ces obligations fiduciaires se définissent plutôt en creux : exposition à des risques constituant un manquement à l’obligation d’agir pour l’intérêt exclusif des bénéficiaires. Ainsi, un nombre croissant de fonds de pension publics ont exclu progressivement le tabac de leurs portefeuilles d’investissement au motif que la consommation de ce produit est hautement toxique et que, par conséquent, il n’est pas dans ” le meilleur intérêt ” des bénéficiaires de financer cette industrie. Ces trustees ne se sont pas soudainement préoccupés des poumons de leurs bénéficiaires, mais plutôt du double risque encouru – financier et juridique – dont la combinaison constitue une arme redoutablement efficace. Le cas du tabac peut offrir une perspective de comparaison intéressante avec le climat.
Injonction paradoxale
Ces fonds de pension rentrent désormais en zone de grande tension sur la question climatique : d’un côté ils doivent garantir une protection sociale et maximiser (sans risque) les retours financiers afin de payer les retraites et, de l’autre, ils ne peuvent se livrer à des investissements potentiellement contradictoires avec la notion de meilleur intérêt des bénéficiaires. Or, si l’intérêt des retraités ou futurs retraités est donc bien de percevoir des rentes confortables, il est surtout de vivre dans un environnement propre, sûr et sain, ce qui est incompatible avec les investissements dans les industries fossiles.
Il semble difficile aujourd’hui d’ignorer délibérément des preuves scientifiques mettant en évidence la réalité du changement climatique et ses risques associés. Cette ignorance ou ce déni devant une cour, et dans un avenir pas si lointain, pourrait suffire à caractériser un manquement aux responsabilités fiduciaires et à traduire en justice certains trustees, envoyant un signal très négatif à toute l’industrie financière déjà rétive à investir sur des actifs très carbonés.
La bataille menée actuellement ne le sera donc pas uniquement sur le plan économique, mais aussi le front juridique. Le mouvement de désinvestissement des énergies fossiles, initié par la société civile et maintenant porté par la finance mainstream se prolongera devant les prétoires, ce qui achèvera d’assoir sa légitimité démocratique. Ce combat à venir appartient au temps long, mais il est irrévocablement engagé.
Illustration de Une : Oivind Hovland