Plates-formes de mutualisation des connaissances, capteurs pour aider les agriculteurs à travailler leurs sols, robots, drones, cultures en ville… La technologie bouleverse le secteur agricole.
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Les passants du parc de Bercy, à Paris, ont de quoi être intrigués. Tout près du manège a pris place, il y a quelques mois, un gigantesque conteneur. Recyclé, transformé, il affiche en grand le logo et les lettres de son concepteur, Agricool, aux côtés de fraises appétissantes et d’invitations à découvrir le compte Twitter, le Facebook, l’Instagram de la société… Les badauds seraient encore plus étonnés s’ils poussaient les portes de ce qui a été rebaptisé un ” cooltainer “ .
A l’intérieur, 3.600 plants de fraisier, maintenus à une température constante et alimentés en lumière par des LED basse consommation. L’air y est filtré et recyclé, le taux d’humidité fixé à 80 %. Des bourdons assurent même parfois la pollinisation…
Voici le nouveau visage de l’agriculture urbaine. Le projet n’est pas mené par une collectivité ou un grand groupe, mais par une start-up qui n’existait pas il y a encore quelques mois et qui vient d’être financée par Daphni, le fonds d’investissement de Marie Ekeland (qui avait financé Criteo), et Kima Ventures, celui de Xavier Niel …
Fils d’agriculteurs, Guillaume Fourdinier et Gonzague Gru ont décidé d’utiliser la technologie pour tenter de révolutionner le secteur et changer les mentalités. Avec de vraies convictions. ” Le point de départ de notre projet, c’est le constat qu’il y a un énorme écart de goût et de qualité entre les fruits que l’on mange dans les grandes villes et ceux que l’on mange sur les lieux de production. En moyenne, il y a aujourd’hui 805 kilomètres entre le champ et l’assiette. Du coup, les fruits ne sont pas sélectionnés pour être bons, mais pour être solides “, explique Guillaume Fourdinier.
Agricool vise donc à réduire les cycles de production et à rapprocher au maximum le lieu de production et celui du consommateur final. Dans les semaines qui viennent, la start-up imagine ainsi installer ses ” cooltainers ” sur des toits d’immeubles, dans des hôtels… Au total, une centaine pourraient être installés dans et autour de Paris. Et, après les fraises, les jeunes entrepreneurs pensent déjà aux tomates, aux courgettes, aux salades et herbes aromatiques. ” Notre approche est radicale, reconnaît Guillaume Fourdinier, mais c’est nécessaire pour faire bouger les lignes. “
L’idée, c’est de faire une sorte de BlaBlaCar de la logistique agricole
D’autres ont déjà fait évoluer les mentalités. C’est le cas notamment de La Ruche qui dit Oui, l’un des pionniers de cette ” ag- tech “. Le réseau, qui rapproche producteurs et consommateurs en éliminant la plupart des intermédiaires, vient de fêter son cinquième anniversaire. A première vue, peu de technologie dans le projet : il s’agit surtout, pour les agriculteurs, de vendre leurs produits en direct. ” En 2011, “start-up” et “agriculture” n’étaient pas des mots qui allaient ensemble, raconte Marc-David Choukroun, cofondateur de La Ruche qui dit Oui. Les circuits courts existaient déjà, mais surtout au niveau local et associatif. On les a rendus plus simples grâce à la technologie. “
Plus de visibilité pour les producteurs, des commandes en ligne pour le consommateur : le dispositif a séduit, au point que plus de 800 ” ruches “, ces groupements d’acheteurs, existent aujourd’hui en France et que le concept s’est exporté à l’étranger, au Royaume-Uni, en Allemagne, en Italie ou en Belgique .
” L’enjeu pour nous, désormais, est d’optimiser la logistique, notamment le transport des produits “, explique Marc-David Choukroun. Toujours plus de technologie, donc, dans une nouvelle version qui devrait sortir dans les prochaines semaines. ” C’est une condition pour changer d’échelle. Si on arrive à faire baisser les coûts logistiques pour les transporteurs, on pourra faire baisser les prix et on attirera encore plus de gens. L’idée, c’est donc de faire une sorte de BlaBlaCar de la logistique agricole. “
Interview de Guillaume Chéron (La Ruche qui dit oui) au Salon des Entrepreneurs (11/02/2015) :
Côté agriculteurs, la situation n’est pas aussi simple. Pour embrasser les nouvelles technologies, ils doivent investir. Leur temps, a minima. Voire de l’argent, dans un secteur pourtant déjà fortement touché par la crise. ” Je ne dis pas que nos producteurs roulent sur l’or, mais ceux qui travaillent en circuit court sont moins touchés par les fluctuations du marché “, nuance Marc-David Choukroun.
Lui-même agriculteur, Hervé Pillaud est l’un des spécialistes de la question et a contribué au développement de plusieurs projets dans l’agriculture connectée. Selon lui, c’est tout simplement une question de ” survie ” pour les producteurs. ” Le secteur a déjà été transformé, mais ce n’est rien comparé aux transformations qui restent à venir. On va vers une agriculture de connaissance intensive, où les données jouent un rôle fondamental. Cela demande des investissements, mais, déjà, il faut que les agriculteurs s’emparent du sujet. “
Améliorer le quotidien des agriculteurs
Plusieurs initiatives ont vu le jour pour tenter d’améliorer le quotidien des agriculteurs sans leur faire perdre trop de temps ou d’argent. Cela a commencé, il y a quelques années, avec des plates-formes de partage des connaissances. Certaines applications permettent ainsi aux agriculteurs de faire part de leurs difficultés, de prendre conseil… D’autres ont senti qu’Internet pouvait leur faciliter l’accès au matériel et se sont organisés, sur Leboncoin ou sur des plates-formes spécialisées, pour se prêter des engins, acheter leurs produits à de meilleurs prix.
Et les choses sont en train de bouger, semble-t-il. Naïo Technologies s’est positionné dès 2011 sur les robots agricoles. Après deux ans et demi de recherche et développement, cette start-up toulousaine a commencé à commercialiser ses premiers modèles il y a deux ans. Et, malgré l’investissement important qu’ils représentent (Oz, son robot désherbant, est vendu 21.000 euros) , la demande s’accélère.
” Les agriculteurs sont pragmatiques. S’ils savent qu’ils pourront réaliser des gains de productivité, ils sont prêts à investir, avance Aymeric Barthes, co-fondateur de Naïo Technologies. Et nous les aidons, en proposant par exemple nos robots à la location. “
Présentation du robot de désherbage Oz :
En France, contrairement aux idées reçues, les agriculteurs sont parmi les catégories socioprofessionnelles les plus équipées en matière de technologie : 90 % d’entre eux ont accès à Internet et 31 % utiliseraient leur smartphone ou une tablette dans leur activité quotidienne. ” Les agriculteurs sont prêts à investir, ils n’attendent que cela. Le problème, c’est que des oligopoles demeurent parmi les fournisseurs “, affirme Paolin Pascot, qui a cofondé Agriconomie.
Cette plate-forme de vente et d’achat pour les semences, les engrais, le petit matériel. vient de passer d’un volume d’affaires d’un million d’euros pour sa première année d’existence, en 2014, à 20 millions cette année. ” Notre but, c’est d’abord de rendre le marché plus transparent, ajoute le jeune homme, lui-même petit-fils d’agriculteurs. Aujourd’hui, il est complètement opaque, les agriculteurs achètent des produits sans en connaître le prix à l’avance, sans être sûrs de leur composition. Difficile, dans ces conditions, de calculer le coût de revient. “
Valeurs communes
Eliminer les frictions du marché, court-circuiter les intermédiaires, favoriser l’intégration des producteurs et développer une agriculture durable et écologique : les start-up du secteur partagent souvent des valeurs communes. Pour affirmer ces caractéristiques presque militantes, certaines se sont regroupées dans une organisation, La Ferme Digitale. ” A l’origine, il s’agissait surtout de créer des synergies entre nous “, indique Paolin Pascot, d’Agriconomie, un des cinq membres fondateurs.
Aujourd’hui, l’organisation regroupe une douzaine de start-up, elle approche de grands groupes pour favoriser leur collaboration avec les jeunes pousses et milite pour la constitution d’une véritable filière ” ag- tech ” en France, comme c’est le cas, par exemple, aux Etats-Unis. ” En France, on a tendance à nous ranger avec la foodtech, avec des gens comme Deliveroo ou Foodora. Or, les enjeux sont très différents “, note Paolin Pascot.
L’objectif est d’être plus visible, dans un secteur où les investissements sont encore faibles. ” Les Etats-Unis sont en train de prendre de l’avance. Les investisseurs se ruent là-bas sur le secteur, alors qu’en France, beaucoup de start-up qui veulent accélérer ne trouvent pas de fonds. Certaines partent même déjà s’installer là-bas “, déplore Julie Peyrache, chargée d’affaires chez Capagro, le seul fonds français spécialisé dans l’innovation agricole, qui vient de s’ouvrir pour passer de 60 à plus de 120 millions d’euros sous gestion. Capagro aimerait aussi davantage impliquer les fonds généralistes, en co-investissant.
Reste à voir, dès lors, si l’arrivée de financiers dans le secteur maintiendra cette unité de valeurs. ” C’est une vraie crainte, reconnaît Hervé Pillaud. Aujourd’hui, les start-up sont plutôt bienveillantes et cherchent des solutions pour améliorer le sort des agriculteurs, mais si on lève beaucoup d’argent, il faudra faire du chiffre. Cela peut déstabiliser le système. “
La Ruche qui dit Oui, par exemple, a surpris les observateurs en levant, il y a quelques mois, 8 millions d’euros, notamment auprès du fonds américain Union Square Ventures (Twitter, Twilio, etc.) ” On a choisi nos investisseurs, répond Marc-David Choukroun. Il fallait qu’ils soient capables de nous faire changer d’échelle, tout en adhérant à nos valeurs. “
De manière générale, ce qui peut changer la donne, c’est l’exploitation que l’on fera des données
Les opportunités, en tout cas, seront multiples, sur l’ensemble de la chaîne de valeur. A commencer par les projets d’installation. La plate-forme de financement participatif MiiMOSA s’est spécialisée dans les questions agricoles. Agrandissement, achat de nouveau matériel, nouvelle vie… Le site a déjà financé plusieurs centaines de projets, du lancement d’un whisky français au développement d’une riziculture au Sénégal, en passant par la création d’une ferme bio en ville, à Lyon… D’ici à un an, elle projette de financer 2.500 projets et de collecter un total de 10 millions d’euros.
Le travail agricole pourrait aussi être bouleversé. Outre les robots, capables d’effectuer les tâches les plus dures, certains exploitants commencent à utiliser des drones pour surveiller leurs champs. Et, depuis quelques mois, une plate-forme comme Prestagri met en relation exploitants et prestataires de services agricoles. Certains s’intéressent enfin au comportement des animaux d’élevage en les équipant de capteurs.
Sans oublier les projets, de plus en plus nombreux, d’agriculture en ville… Ou ceux, comme Monpotager.com, qui permettent aux urbains de ” louer ” une parcelle, de faire cultiver leurs fruits et légumes par un agriculteur, puis d’être livrés à domicile. La ” blockchain ” suscite aussi des espoirs, dans la contractualisation, les transactions liées aux parcelles… ” De manière générale, ce qui peut changer la donne, c’est l’exploitation que l’on fera des données, conclut Julie Peyrache. Aujourd’hui, personne ne s’est vraiment imposé avec une offre innovante dans ce domaine. “