Au revoir béton, bonjour épicéa et pin des Landes. La construction des immeubles de bureaux passe au vert. Tous les poids lourds du secteur s’y mettent.
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Du rêve à la réalité. Après le congrès Woodrise, consacré cet automne aux immeubles en bois de moyenne et grande hauteur, la capitale girondine inaugurera en avril 2018 un ensemble tertiaire du « même tonneau ». « Le bois est la pièce maîtresse du bâtiment à énergie positive Perspective, qui dominera la rive gauche de la Garonne de ses 30 mètres, détaille Xavier Monsegu, directeur général technique du groupe Pichet, promoteur du projet. 4 600 mètres carrés d’espaces de bureaux, 6 étages et une façade mixte (aluminium et résineux prégrisé) abritant une ossature poteaux-poutres en pin des Landes et épicéa du Limousin, édifiée à partir d’éléments usinés dans un atelier à Lourdes. »
Avec ses plafonds apparents, l’édifice est une sorte de vitrine-laboratoire montrant l’engagement de l’établissement public d’aménagement Bordeaux-Euratlantique à construire 25 000 mètres carrés par an en structure interne en bois durant quinze ans, afin de valoriser et de développer la filière bois régionale. Première surface forestière cultivée d’Europe, la région des Landes ne risque pas une déforestation abusive. « Autrefois, les propriétaires plantaient des arbres dans le jardin pour assurer l’entretien de la charpente, rappelle Marc Fasiolo, président du cabinet S2T. Couper un arbre mature, c’est favoriser la pousse des plus jeunes prometteurs d’à côté et c’est en planter plusieurs pour le remplacer. Le bois de la filière construction provient de forêts écogérées, qui garantissent renouvellement et diversité biologique. »
D’autres surprises de taille fleuriront bientôt dans le quartier Euratlantique. Telles les tours Hypérion (Jean-Paul Viguier, Eiffage, Woodeum) et Silva (Art & Build, Studio Bellecour, Kaufman & Broad), deux gratte-ciel résidentiels en bois, les plus hauts de France, qui dépasseront chacun 50 mètres de hauteur. « Il s’agit d’une tendance durable. La réduction de l’empreinte carbone dans la phase de construction deviendra bientôt une norme. Le bois apporte une très bonne réponse. Hélas, la France est très en retard dans ce domaine, analysent Nicolas Laisné et Dimitri Roussel, les architectes de l’immeuble Perspective. Par ailleurs, ce matériau écolo trouve naturellement sa place dans les espaces collaboratifs plus souples et agréables à vivre que veulent les entreprises pour coller aux nouveaux usages de leurs collaborateurs. »
Modularité
Mais construire en bois ne s’improvise pas. Cela nécessite notamment de bien prévoir en amont le passage des réseaux électriques, systèmes de climatisation, etc. « Dès le début, nous devons dessiner plus précisément chaque détail, qui devra s’imbriquer parfaitement dans l’assemblage final. L’architecte reprend la main, c’est passionnant ! » s’enthousiasme Nicolas Laisné. Ce singulier jeu de Meccano offre d’autres avantages. Fini le bruit des marteaux-piqueurs et autres nuages de poussière. Les poutres et voiles de bois préfabriquées s’élèvent et s’assemblent en silence dans les airs. L’équation financière y trouve aussi son compte. Si la construction en bois coûte généralement de 10 à 20 % plus cher, ses chantiers sont nettement plus rapides que ceux des opérations en béton. On gagne environ six mois, atout non négligeable pour un promoteur de bureaux dont les occupants peuvent être pressés. Sans oublier les investisseurs percevant ainsi plus rapidement leurs loyers. Organisateur du congrès Woodrise, Patrick Molinié, de l’Institut technologique FCBA, est formel : « Totalement dépassé il y a dix ans, le bois n’est plus marginal. Son système constructif en poteaux-poutres permet une grande modularité de surface grâce à des plateaux de bureaux évolutifs dont on peut bouger les cloisons en fonction du client final et que l’on aménage à sa guise. »
Massif
De fait, tous les poids lourds de la promotion immobilière et du BTP (Bouygues, BNP Paribas Real Estate, Eiffage, Icade, Kaufman & Broad, Nexity, Pichet, Vinci…) ont aujourd’hui dans leur portefeuille de la construction bois à proposer à leurs clients. « Cette industrialisation en marche du bâtiment bouleverse les standards de la profession. Son approche environnementale qui génère une valeur verte réduit également les délais de mise en œuvre et les coûts d’exploitation », relève Stéphane Bouquet, patron d’Ywood, la filiale bois de Nexity. Pionnier de ce type de construction, le major de l’immobilier neuf voit grand. Avec Architecture-Studio et le paysagiste Tangram, il livrera début 2011, au cœur de la technopole Nice Méridia, dans la plaine du Var, le plus haut immeuble en structure bois de France : 9 étages et 35 mètres de hauteur. Au menu du Palazzo Méridia : 900 tonnes de bois d’origine française masquées par un exosquelette métallique qui supporte mieux la pollution automobile environnante. Cerise sur le gâteau écologique de ce puits de carbone et premier bâtiment à énergie positive de l’Eco-Vallée : une possible réversibilité des espaces de bureaux en logements !
On retrouve à la périphérie de Paris l’agence Laisné Roussel, qui compte bien passer à la vitesse supérieure, en partenariat avec l’architecte François Leclercq. Dans l’attente de son permis de construire, le campus tertiaire l’Arboretum de Nanterre-la-Défense est une opération d’envergure portée par Woodeum et BNP Paribas Real Estate. Pas moins de 118 000 mètres carrés de bureaux répartis sur 5 bâtiments de 6 étages, lovés dans un grand parc de 9 hectares, en lieu et place d’une friche industrielle bordant la Seine. « Ce sera le plus grand complexe en bois massif jamais construit dans le monde. Oublié, les faux plafonds ! Tournant le dos au classique béton armé, tous ces espaces de travail new-look arboreront du pin sylvestre et de l’épicéa en lamellé-collé contre-croisé (CLT), vantent Guillaume Poitrinal et Philippe Zivkovic, patrons de Woodeum. Bio, bas carbone et renouvelable, ce matériau, qui offre de remarquables propriétés thermiques et acoustiques, est idéal pour bâtir et exploiter des immeubles jusqu’à 10 étages. »
La capitale n’est pas en reste. Porte d’Ivry, près du périphérique, le groupe Quartus a livré cet été un immeuble de 7 étages comprenant 1 500 mètres cubes de bois en structure et bardage, conçu par l’agence Art & Build et occupé par la Direction du patrimoine et de l’architecture de la ville de Paris. « L’entreprise Simonin, qui a notamment œuvré pour le pavillon français bois à l’Exposition universelle de Milan, en 2015, a posé les planchers et les façades en CLT. Leur assemblage a nécessité une performance millimétrique que seuls des ouvriers qualifiés et autres compagnons sont capables de réussir », détaillent Frank Hovorka et Ludovic Boespflug, dirigeants de Quartus. De l’autre côté de la Seine, un immeuble bas carbone de 16 000 mètres carrés enjambera fin 2018 les voies ferrées de la gare Saint-Lazare, dans le secteur Clichy-Batignolles. « Par sa légèreté et sa simplicité de pose, le bois, qui n’était pas prévu ici au départ, nous permet de gagner trois étages et plusieurs mois de chantier, explique Eric Mazoyer, directeur général délégué de Bouygues Immobilier, promoteur du projet. Super-isolant thermique, ce matériau apporte aussi un sentiment de confort et de réconfort, diminuant aussi certains maux, laryngite, pharyngite… » Et par là même le taux d’absentéisme.