« Elle a été cultivée où, cette salade ? » Au second sous-sol d’un parking. « Et ces fraises ? » Fraîchement récoltées dans un ancien conteneur maritime, dans le XIIe arrondissement de Paris. Boutades ? Pas du tout. Installée sous une barre HLM située porte de la Chapelle, dans le nord de Paris, La Caverne, une micro-ferme urbaine souterraine développée par la jeune start-up Cycloponics, prévoit de produire, à terme, 30 tonnes de fruits et légumes par an et 24 tonnes de champignons dans les 3 000 m2 désaffectés d’un garage. Les premières récoltes sont attendues avant l’été.
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Un peu plus au sud, en bordure du parc de Bercy, Guillaume Fourdinier et Gonzague Gru, tous deux fils d’agriculteurs, vont implanter fin mars leur premier conteneur de 33 m2 dans lequel pousseront 3 600 plants de fraises installés à la verticale. Leur société, Agricool, a pour ambition de produire toute l’année 7 tonnes de fraises goûteuses, garanties sans OGM ni pesticides. Les premières barquettes de 250 g seront vendues ce printemps, 3 euros l’une, par l’intermédiaire du réseau La Ruche qui dit oui !.
« Excepté le blé et la salade, tout ce qui remplit l’assiette des Franciliens vient de très loin. » Antoine Lagneau, chargé de mission à Natureparif
Tour maraîchère à Romainville (Seine-Saint-Denis), fermes aquaponiques (qui associent culture de légumes en symbiose avec l’élevage de poissons) de la taille d’une place de parking à Toulouse ou à Reims, houblonnière sur les toits de Paris… Depuis quelques mois, sous et sur le bitume des grandes métropoles germent une multitude de projets pour réintroduire l’agriculture dans les villes. Et raccourcir au passage les circuits de production et de distribution. « En Ile-de-France, le maraîchage est en recul constant. Beaucoup d’exploitations ont disparu ou sont reléguées toujours plus loin des zones urbaines, explique Antoine Lagneau, chargé de mission agriculture urbaine à Natureparif, l’agence régionale pour la nature et la biodiversité en Ile-de-France. Excepté le blé et la salade, tout ce qui remplit l’assiette des Franciliens vient de très loin. »
Compte tenu de la rareté et du prix du foncier disponible en ville, l’agriculture urbaine part à l’assaut de tous les espaces délaissés. Toits, friches, talus, terre-pleins, parkings souterrains ou tunnels à l’abandon, anciennes carrières… Dans Paris intra-muros, le potentiel est énorme. Selon une estimation de l’atelier parisien d’urbanisme, parue en février, 80 hectares de toits seraient utilisables. Une partie des 770 hectares d’anciennes carrières de calcaire de la capitale pourrait aussi être transformée en champignonnière.
Végétaux comestibles dans des espaces confinés
A ce stade, seulement 1,7 hectare de toitures et de murs parisiens est cultivé, auquel s’ajoutent les 12 hectares de culture au sol (dont près de la moitié de jardins partagés). Mais, depuis un an, la Ville de Paris encourage les initiatives, avec un objectif affiché de 100 hectares de toitures et de murs végétalisés en 2020, dont un tiers en agriculture. En 2016, l’appel à projets des « Parisculteurs » a retenu 33 lauréats (associations ou start-up, dont Cycloponics et sa Caverne) pour mettre en culture l’équivalent de 5,5 hectares : 500 tonnes de fruits et légumes et de champignons, 8 000 litres de bière ou encore une centaine de kilos de miel sont attendus. Un « Parisculteurs 2 » est annoncé pour l’automne.
Ces nouveaux « urbainsculteurs » utilisent les techniques les plus pointues pour faire pousser des végétaux comestibles dans des espaces confinés et souvent en intérieur. Culture verticale, maraîchage sur compost et sous LED, champignons sur substrat de base de marc de café et de résidus, dans des jardinières, des cartons, des conteneurs… toutes les innovations sont mises en œuvre pour compenser le manque de place par de gros rendements, tout en essayant de faire de la qualité.
« Nous créons un paradis pour fraises à l’intérieur de nos conteneurs, ce qui nous permet d’être 120 fois plus productifs au m2 que la pleine terre, et de sortir des fruits parfumés et charnus, affirme Guillaume Fourdinier, 29 ans, cofondateur d’Agricool. Le tout sans pesticides, ni OGM, ni pollution, puisque nos fraises poussent dans un environnement clos. En fait, plutôt que de forcer la plante, nous nous adaptons à elle : température idéale, lumière parfaite, irrigation en circuit fermé. » La jeune start-up, qui a levé 4 millions d’euros et compte déjà 32 salariés, va installer trois conteneurs à Paris d’ici à l’été, puis en banlieue et en région.
Quid du respect des saisons ?
A Paris, V’île fertile, une ferme urbaine participative et associative, n’a, elle, pas encore pu créer un premier emploi à temps complet. « Il y a un discours un peu angélique autour de l’agriculture urbaine, notamment de la part des collectivités locales qui y voient un moyen de revégétaliser la ville à moindres frais, estime Raphaël Luce, salarié dans l’audiovisuel la semaine et un des responsables bénévoles de V’île fertile en week-end. C’est quand même souvent une autre activité ou des subventions qui permettent de financer le potager sur les toits. »
Malgré ces réserves, le mouvement est en marche. Les jardins des villes ne permettront jamais l’autosuffisance, mais l’arrivée d’une génération d’entrepreneurs high-tech bouscule une agriculture urbaine historiquement portée par des associations ou des collectifs à l’ADN plus social et écologique que marchand. Les méthodes de culture suscitent aussi des interrogations. Quid du respect des saisons et des produits quand on cultive hors-sol, toute l’année et en milieu fermé ? Quelle est l’empreinte carbone de ces légumes poussés aux LED ? « Rien n’est naturel dans cette production, mais elle est le plus écologique possible, répond Guillaume Fourdinier. Il n’y a aucune pollution due au transport, nous n’utilisons aucun produit phytosanitaire, l’air pollué de l’extérieur est filtré, l’énergie utilisée est 100 % issue du renouvelable et notre consommation d’eau est 90 % plus faible que sous serre conventionnelle. »
Pour Grégoire Bleu, président de l’Association française d’agriculture urbaine, tout juste créée, les différentes approches sont complémentaires. Le défi pour chacune reste de trouver un modèle viable. « Quand vous cultivez en ville, vous ne pouvez pas vous contenter de produire de la nourriture, il faut proposer des services, mettre en place toute une économie circulaire et solidaire », explique Grégoire Bleu, cofondateur par ailleurs de La Boîte à champignons, qui a développé des activités (recyclage, vente aux particuliers, aux restaurateurs, conseil…) autour de la culture de pleurotes sur un substrat de marc de café recyclé. A Reims, la start-up toulousaine Citizen Farm vend ses fermes mi-serre mi-aquarium (autour de 20 000 euros) et assure formation et entretien. Faire pousser des salades avec des truites, c’est bête comme chou.