Une startup parisienne reproduit en laboratoire la lumière dégagée par certains organismes marins. Pour sa fondatrice, Sandra Rey, l’invention pourrait changer radicalement l’aspect des villes.
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Eau et vagues, poissons et algues… mais aussi lumière, enzymes et inspiration. Moins exploitées, ces ressources de la mer sont pourtant celles sur lesquelles Sandra Rey, fondatrice de la start-up Glowee, investit tout son temps et son énergie depuis trois ans. À 25 ans, elle poursuit une vision: parvenir à produire sur terre une lumière aussi douce et renouvelable, vivante et peu polluante que celle dégagée par méduses et poissons lanternes, calamars et autres organismes marins.
Diplômée en design, Sandra Rey se retrouve ainsi à la tête d’un projet fondé sur la recherche en biologie synthétique, science visant à construire de nouveaux systèmes biologiques. Dans l’entreprise qu’elle dirige, Glowee, il s’agit notamment de reproduire la réaction chimique à l’origine des propriétés naturelles bioluminescentes de la faune marine, afin de fabriquer une source de lumière ne nécessitant ni électricité ni infrastructure.
“Je veux faire en sorte que la bioluminescence devienne une évidence”, souligne la PDG.
Une matière cultivable
Plus qu’un objet, le produit de Glowee est donc une matière première: une sorte de gel fait de bactéries -ni pathogènes ni toxiques- et d’une solution nutritive leur permettant de vivre et de produire de la lumière. La culture peut être contenue dans une coque transparente adaptable, qui s’illuminera jusqu’à la fin de vie de ces micro-organismes.
L’innovation permet d’économiser des ressources: au lieu d’être extraite ou transformée, la matière première est en effet cultivée, et la reproduction des bactéries est exponentielle. L’essentiel de l’empreinte écologique vient donc de la production des coques organiques, que Glowee s’engage à récupérer et incinérer une fois utilisées. En prenant en compte le cycle de vie complet du produit, il engendre deux fois moins d’émissions de CO2 qu’un système LED équivalent, estime Sandra Rey. Le type particulier de lumière produite présente par ailleurs l’atout de ne pas perturber la faune des villes, et la portabilité de la lumière la rend intéressante pour les lieux coupés des infrastructures.
Du point de vue marketing, les applications de cette lumière particulière, à la fois froide et douce, sont multiples, imagine Sandra: de l’éclairage des vitrines des magasins à la signalétique et au mobilier urbain, sans exclure à plus long terme l’intégration dans les matériaux de construction, voire la peinture. Quant au modèle économique, Glowee songe surtout à une vente de services, intégrant la conception, la production et la récupération des installations. Deux offres sont envisagées: l’une à la prestation, destinée à l’événementiel et consistant en des scénographies personnalisées; l’autre sous forme d’abonnement, destinée aux commerçants, invités à intégrer les produits luminescents de Glowee, rénovés périodiquement, à leurs décors de vitrine.
Coup de pouce du décret de 2013 sur l’éclairage nocturne
C’est d’ailleurs dans le cadre d’une démarche visant à donner un nouveau visage aux villes qu’est née l’idée. En 2013, Sandra, étudiante à l’école de design Strate, participe avec trois autres jeunes innovateurs au concours ArtScience, dont le but est de rapprocher ces deux disciplines. Le thème de l’année était la biologie synthétique. À la recherche de nouvelles ressources pour l’éclairage, son groupe tombe sur un documentaire consacré à la bioluminescence, dont les applications font déjà l’objet à l’époque de diverses recherches. C’est ainsi que facta est lux. Les quatre étudiants dessinent des autocollants luminescents applicables aux vitrines, et gagnent le prix. Une idée qui tombe d’ailleurs au bon moment, puisque l’encadrement par le décret de juillet 2013 relatif à l’éclairage nocturne des bâtiments non résidentiels, ouvre de nouvelles opportunités de marché.
La couverture médiatique dont bénéficie le concours leur vaut quelques bons contacts. Mais le groupe se délite et Sandra poursuit seule le projet. Déterminée, elle parvient à intégrer plusieurs incubateurs (du Centre de recherches interdisciplinaires de l’université Paris Descartes, puis de l’Inserm), à obtenir des fonds et à étoffer au fur et à mesure l’équipe. Fin 2014, un premier objectif est atteint, produire quelques secondes de lumière, et une étape franchie, la création d’une SAS. En 2015, Glowee compte désormais deuxbusiness angels et deux salariés et associés : Geoffroy de Bérail, directeur financier, et Samuel Juillot, directeur de la recherche.
700.000 euros levés en neuf jours
Glowee, choisie comme ambassadrice de la French Tech à la COP21, se met en tête de lancer son premier produit à cette occasion. En quelques mois, l’équipe parvient à passer de quelques secondes à… 72 heures de lumière stable, et à présenter ainsi en décembre une proposition pour le marché de l’événementiel : des coques rondes en résine organique d’un diamètre de 10 centimètres, bioluminescentes.
“On a pris un gros risque, mais ça a marché”, se réjouit Sandra. Depuis, après s’être installée au Génopole, la startup s’est concentrée sur la consolidation de sa stratégie de recherche et développement, ainsi que sur l’évaluation de ses besoins financiers. En mai, elle a lancé une campagne de financement participatif sur la plateforme WiSEED, qui lui a permis de lever en neuf jours 700.000 euros (versés par 579 personnes).
Pas dans les cases de la loi sur les OGM
“Depuis le début de l’aventure, nous sommes parvenus à lever globalement 1,2 million d’euros” calcule la PDG. L’équipe est désormais constituée de 12 personnes et poursuit un objectif: générer d’une à quatre semaines de lumière.
“Tout notre travail vise à réduire au maximum les contraintes afin que, à terme, notre produit soit très largement applicable”, résume Sandra.
En France, elle a été toutefois confrontée à un autre défi qui la préoccupe: sécuriser le cadre réglementaire applicable à son produit, micro-organisme génétiquement modifié (MGM) destiné à sortir du laboratoire sans pour autant être disséminé. “On n’entre pas dans les cases de la loi sur les OGM, et notre domaine peut concerner différents ministères”, explique la PDG. Un cas de figure pourtant “normal” dès lors qu’on parle d’innovation disruptive.