Quand Emmanuel Druon reprend la direction de l’usine d’enveloppes de Forest-sur-Marque (près de Lille) en 1997, l’entreprise est en pleine crise économique et sociale. Quant à l’environnement, il est loin de figurer au rang des priorités. 20 ans plus tard, Pocheco compte 114 salariés et fait figure de laboratoire de l’économie circulaire. Reportage.
Dans les locaux de Pocheco, une pancarte pose le cadre d’entrée de jeu : “Ne respectez pas la législation… Devancez-la !”. Toujours avoir une longueur d’avance donc. Dans cette fabrique d’enveloppes de gestion du Nord-Pas-de-Calais, on sent un bouillonnement créateur. L’innovation est partout : dans les technologies, l’organisation du travail, le management. À tel point que la fabrique d’enveloppes fait l’objet de visites régulières de la part de journalistes, de politiques, de chefs d’entreprises, d’étudiants, de groupes scolaires ou de citoyens. En mars dernier, son patron, Emmanuel Druon, intervenait même devant le G7 à la demande du ministère français du Développement durable, pour illustrer la façon dont les entreprises françaises prenaient la voie de la transition énergétique.
Pourquoi ? D’abord parce que Pocheco fait figure de laboratoire grandeur nature de l’économie circulaire, cette façon de produire en boucle en économisant au plus près la matière, en réduisant les déchets et en favorisant le recyclage. Aujourd’hui, de nombreuses multinationales en font leur axe stratégique, mais Emmanuel Druon, lui, a amorcé le changement il y a une vingtaine d’années, au moment où il a repris Pocheco. Étape par étape, il a complètement revu le modèle de fonctionnement de l’usine, datant de 1848.
Comment ? En repensant chaque procédé, chaque structure de production, chaque méthode de décision. En concertation avec les collaborateurs de l’entreprise. Et avec une règle stricte : “Chaque investissement doit engendrer un triple bénéfice : moins d’impact sur l’environnement, moins de pénibilité des postes et des gains de productivité”, explique Emmanuel Druon. “De telle sorte qu’il devient plus économique de travailler de manière écologique. C’est ce que j’appelle l’écolonomie. Ou tout simplement, du bon sens !”
Économie + écologie = rentabilité + efficacité
Chaque année, l’usine produit 2 milliards d’enveloppes de gestion pour de grandes marques ou institutions. Pour les fabriquer, 10 000 tonnes de papier sont nécessaires. Celui-ci est certifié PEFC – essentiellement de Finlande -, ou est produit à partir de sciures de bois. À chaque arbre utilisé, ce sont quatre nouveaux arbres qui sont plantés dans cette région peu boisée, via l’association Pocheco Canopée Reforestation.
Dans l’entreprise, la plus grande attention est accordée à la toxicité des produits : l’encre utilisée pour réaliser les impressions des logos est à l’eau, sans solvants ni métaux lourds. Même chose pour la colle. Et l’on traque le gaspillage à tous les niveaux. 99% des déchets sont recyclés : les chutes de papier issues de la découpe des enveloppes sont ainsi recyclées à l’extérieur et se transforment en cartons de champagne. Les packs de lettres sont aussi optimisés pour éviter les emballages : une nouvelle technique, appelée “tornado” permet par exemple d’économiser les emballages et de diminuer de 40 % les émissions de carbone, en remplaçant le conditionnement traditionnel en cartons par une bobine géante pouvant accueillir 40 000 enveloppes.
80% de l’eau utilisée dans l’usine provient de la pluie : elle est utilisée pour les sanitaires et l’arrosage des plantes, la climatisation ou le nettoyage des outils, ce qui permet d’économiser 156 litres d’eau du réseau par heure. Dans l’usine, dont les toits végétalisés et solarisés permettent à la fois une économie et une production d’énergie (entre 10 et 20% de l’électricité doit cependant être achetée à l’extérieur, mais l’entreprise essaye d’y remédier), la température est régulée grâce à un système qui récupère l’air chaud en hauteur et le refroidi par l’eau récupérée sur le toit (climatisation adiabatique). Les chaudières à gaz ont été supprimées. Le séchage des enveloppes est quant à lui assuré par des lampes infrarouges, économes en énergie.
L’eau usagée alimente une bambousaie expérimentale, qui constitue une mini station d’épuration naturelle à l’entrée de l’usine. “Il s’agit pour l’instant d’un test”, souligne Kevin Franco, chargé de mission de Canopée conseil, la partie bureau d’études de la PME. “Nous rendons compte très régulièrement à la DREAL (direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement) de la qualité de l’eau qui en ressort pour lui donner un retour d’expérience sur cette technique de phytoremédiation. Aujourd’hui, nous sommes plutôt satisfaits du résultat mais il faudrait quintupler cette surface pour pouvoir traiter la totalité de nos eaux usées de cette façon !” Une fois arrivés à maturité, les bambous sont coupés et brûlés dans la chaudière à bois, avec des palettes usagées récupérées dans les usines environnantes.
Les transports se font par route mais aussi, dès que possible, par bateau, notamment pour acheminer le bois de Finlande. Et un système de co-voiturage pour les employés vient d’être mis en place avec des voitures électriques. Cela permet aux employés utilisateurs d’économiser 200 à 500 euros par mois.
Sur son “compteur d’écolonomies”, accessible depuis son site internet et réactualisé quotidiennement, Pocheco annonçait avoir économisé début mai “101 853 kg équivalent CO2 depuis le début de l’année”, soit l’équivalent d’environ 535 000 kilomètres en voiture de type Clio. En parallèle, près de 60 000 arbres ont été plantés.
L’humain au centre de l’entreprise
Cette machinerie bien huilée, Emmanuel Druon la décortique dans deux livres “Écolonomie” publié en 2012 et le “Syndrome du poisson lune“, paru en 20151. “Beaucoup de ceux qui viennent visiter l’usine nous disent qu’ils viennent vérifier sur place ce qu’ils ont lu dans les livres”, s’amuse Maxime Moers, qui troque régulièrement sa casquette de chargé de mission spécialisé en construction durable pour celle de guide de Pocheco. “Ils en sortent souvent impressionnés par le bon sens de la démarche et son côté holistique”, ajoute-t-il fièrement.
Pourtant, les débuts n’ont pas été faciles. Il a souvent fallu batailler pour mettre en place des technologies qui ont depuis fait leurs preuves. D’où la création d’un bureau d’études interne notamment, plutôt rare dans une entreprise de cette taille. “Nous avons abordé les difficultés en opportunités. Nous avons progressé en tâtonnant et en expérimentant, tous ensemble. Cela nous a permis de survivre alors que pratiquement tous les fabricants d’enveloppes ont déposé le bilan ces 10 dernières années”, souligne Emmanuel Druon.
La technique paraît plutôt payante. L’entreprise génère 22 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel, en croissance de 2 à 3% depuis 10 ans. Les bénéfices générés sont réinvestis dans l’outil de production. Ici, pas de dividendes. Mais l’écart entre le plus haut et le plus bas salaire (SMIC +15%) des 114 employés de Pocheco – tous en CDI – est de un à 4. Et il n’existe qu’un échelon hiérarchique entre le comité de pilotage composé de 6 personnes – à parité hommes-femmes – et le reste de l’équipe. Tout le monde fonctionne en binôme, patron compris. L’été, quand le rythme ralentit, “l’équipe B”, composée de la jeune garde de l’entreprise, prend les rênes de l’entreprise, histoire de multiplier les expériences et d’assurer la relève. Sur le mur de la partie administrative, tous les employés ont d’ailleurs leur portrait accroché, sur la même ligne.
“Ici, on décide vite, et ensemble”, insiste Emmanuel Druon. “Nous ne sommes pas forcément des génies, mais notre force, c’est d’utiliser l’intelligence collective. De faire notre travail par plaisir et par conviction”. Chacun est incité à développer ses projets. C’est comme cela que sont nés de nouveaux services comme l’agence de la facture verte, initiée par Elizabeth Dinsdale, la responsable communication de l’entreprise, qui valorise l’enveloppe comme support d’impression ou le service de pré-tri postal développé pour les entreprises de la région pour réduire les frais d’envois et les émissions de CO2.
Une entreprise ancrée dans son écosystème
Ce sont aussi des initiatives de salariés qui ont conduit au développement de projets liant l’entreprise et son écosystème. La maison de l’écolonomie, une association issue du bureau d’étude de Pocheco, propose ainsi aux employés, mais également aux habitants de la région, divers services destinés à faciliter leur quotidien et à faire des économies de façon écologique. C’est le cas des “paniers de Marianne”, un service qui propose des paniers de fruits et légumes produits par les agriculteurs du coin, et à moindre prix. Beaucoup de salariés font aussi du mécénat de compétences. Ici l’expression “RSE” n’est pas particulièrement utilisée, mais la responsabilité sociale de l’entreprise est véritablement incarnée. “Nous faisons un peu œuvre de service public”, sourit Emmanuel Druon.
Le succès de la petite entreprise essaime. Le cabinet d’étude Canopée Conseil travaille aujourd’hui avec d’autres entreprises pour les accompagner dans leur programme de mobilité durable ou la réfection de bâtiments, plus efficaces énergétiquement. Et d’ici quelques années, Pocheco espère voir naître dans la région la Vallée de l’écolonomie, pour permettre aux entreprises et habitants de partager leurs ressources (énergétiques, déchets, voiture, eau, intelligence…).
[1] “Le syndrome du poisson lune – un manifeste d’anti-management”, Éditions Actes Sud, janvier 2015 et “Écolonomies, entreprendre et produire autrement “, Éditions Pearson, juillet 2012.
Source : Novethic