Une semaine avant le coup d’envoi de la Copa America au mois de Juin, le Chili était en alerte anti-pollution.
La COP 21, 21e Conférence sur le changement climatique (30 novembre au 11 décembre à Paris), pourrait-elle conduire le football à prendre davantage de précautions ? Une étude allemande révèle en effet que la performance des joueurs baisse avec l’augmentation de la pollution aux particules fines…
La visite du Zénith Saint-Pétersbourg au stade de Gerland, mercredi en Ligue des champions (20h45), ravive de mauvais souvenirs pour le staff médical de l’Olympique lyonnais – et pas seulement en raison de la défaite en Russie le 20 octobre (3-1). «A Saint-Pétersbourg, on a vraiment remarqué une pollution plus importante que ce que l’on a l’habitude d’avoir sur Lyon, témoigne le médecin du club, Emmanuel Orhant. Lors de la promenade du matin, on avait une sensation d’oppression qui nous a d’autant plus étonnés que l’on n’avait pas du tout été averti de cette pollution.»
Les exemples d’équipes plongées dans de fortes pollutions sont légion. On se souvient que le vestiaire du PSG avait refusé de rééditer la tournée de l’été 2014 en Chine, en raison de la forte pollution sur Pékin, peu compatible avec une préparation de qualité. Quelques mois plus tard, toujours à Pékin, David Luiz avait déclaré, en marge d’un amical Brésil-Argentine, disputé un jour de pic: «La population chinoise ne mérite pas de vivre comme cela.» Plus récemment, en juin dernier, au Chili, le début des quarts de finale de la Copa America a coïncidé avec un «état d’urgence environnementale» à Santiago qui a paralysé 40% du parc automobile, 3 000 entreprises, dont 900 usines… mais sans rien changer au programme des matches.
Plus la pollution est forte, moins il y a de passes
La pollution aurait-elle si peu d’effets sur les joueurs de football qu’elle pourrait être passée par pertes et profits ? De fait, aucun club de L1 n’est appareillé pour mesurer la pollution et les délégués de matches de la Ligue contrôlent beaucoup de choses mais pas la qualité de l’air. Pourtant, une étude allemande, publiée en 2014 et reprise dans le très instructif Sciences sociales Football Club de Bastien Drut et Richard Duhautois*, atteste ce que chacun pressent: le lien entre pollution et performance des joueurs existe.
Les auteurs ont étudié près de 3000 matches de Bundesliga disputés entre 1999 et 2011. Pour chacun d’entre eux, ils ont rassemblé des données sur la qualité de l’air, en particulier la concentration de particules fines par mètre cube. Ils ont ensuite croisé ces indications avec le nombre et la qualité des passes effectuées par les joueurs. Moralité: plus la concentration dépasse 20 microgrammes par mètre cube, soit bien en-deçà de la limite tolérée par les normes de l’UE (50 microgrammes), moins les joueurs font
de passes.
Autre enseignement: les joueurs les plus jeunes (moins de 21 ans) souffrent moins de la pollution que les plus âgés et les milieux de terrain sont davantage affectés que les défenseurs ou les attaquants. Ces résultats n’étonnent pas Emmanuel Ohrant, même si le critère de performance retenu (le nombre de passes) lui paraît moins pertinent qu’un marqueur comme le nombre de kilomètres parcourus car «en cas de troubles respiratoires, l’endurance est la première impactée en raison d’une moindre oxygénation des muscles».
«Entraînement plus court et moins intense en cas de pic»
«Dans le football, il n’est pas impossible, comme le montre l’étude, que les particules fines affectent davantage les joueurs les moins jeunes, entre 28 et 35 ans par exemple. De même, il est logique que les milieux de terrain souffrent davantage que les défenseurs et les attaquants puisqu’ils courent davantage.»
La pollution sur Saint-Pétersbourg (deuxième ville de Russie, 5 millions d’habitants) a-t-elle eu des conséquences pour l’OL ? «On a reparlé de ce problème au repas de midi et on a décidé de faire attention à l’entraînement prévu dans la soirée. Il a été à la fois plus court et moins intense.»
Les chercheurs allemands posent tout de même la question: si la pollution affecte en effet la performance (en économistes, ils parlent plutôt de productivité), et qu’elle l’affecte au point que le taux de réussite des passes est aussi légérement plus faible et que les équipes font davantage de passes longues quand le taux de particules fines dans l’air est élevé, les entraîneurs ne devraient-ils pas adapter leur système de jeu en cas de pollution ?
«Si même la productivité de joueurs surentraînés est affectée…»
«On en n’est pas au point de changer de tactique en fonction de la pollution, tempère Emmanuel Ohrant. Même dans un cas de pollution importante, leur situation n’a rien à voir avec celle des populations sensibles qui sont alertées par les autorités.» Ce constat vaut aussi, selon notre témoin, pour l’équipe féminine de l’OL («Il n’y a pas de diifférence entre les hommes et les femmes de ce point de vue») et les jeunes qui disputent la Youth League «puisqu’ils ont dépassé l’âge de précaution qui est fixé à 15 ans.»
Si le cas des footballeurs «n’a rien à voir», l’étude allemande souligne qu’ils n’échappent pas aux effets de la dégradation de la qualité de l’air, l’un des dossiers chauds de la COP21. «Si même la productivité de joueurs surentraînés et au physique d’exception est affectée par la pollution de l’air, il est légitime de penser que ses effets sur la productivité et tout simplement sur la santé des plus fragiles d’entre eux doivent être immenses», relèvent Drut et Duhautois.
Une autre solution pour contrer les effets de la pollution pourrait être d’autoriser davantage de changements de joueurs. Avant Argentine-Brésil à Pékin, le sélectionneur brésilien, Dunga, avait prévenu qu’il ferait «beaucoup de changements pour que les joueurs ne soient pas trop touchés». A l’arrivée, alors même qu’il s’agissait d’un amical, il n’avait changé que trois joueurs, autant que son vis-à-vis de la Celeste, “Tata” Martino. David Luiz, le climatologue du PSG, faisait partie du trio qui a cédé sa place, mais à la 90e minute seulement…