28 mégapoles de plus de 10 millions d’habitants ont poussé un peu partout dans le monde, selon l’ONU. Un chiffre qui a triplé depuis 1990 et qui va encore gonfler : en 2050, 75 % de la population mondiale sera urbaine. Face à ce constat, les villes tentent de limiter leur empreinte écologique en créant des écoquartiers. Mais comment faire ? Tout raser pour tout reconstruire ou bien partir de zéro ? En France, Lyon teste les deux méthodes. Reportage.
C’était la dernière barre des “Mille”. Une tour grisâtre de 45 mètres de haut qui abritait 339 familles. Elle a été démolie le 2 juillet dernier, marquant ainsi un tournant dans la transformation du quartier de La Duchère, à Lyon.
Construite dans les années 60, au nord-ouest de la ville, la Duchère ne représentait jusqu’alors qu’un vaste ensemble de barres d’immeubles. HLM, immigration, chômage, insécurité. Voilà à quoi pensaient les Lyonnais quand ils levaient les yeux vers ce quartier du 9ème arrondissement de Lyon, juché sur la troisième plus haute colline de la ville.
“Régénérer la ville sur elle-même”
Mais depuis 2003, la cité populaire s’est transformée en écoquartier labellisé1. Des immeubles à taille humaine, ne dépassant pas sept étages, avec balcons, jardins et places de parking en sous-sol, ont remplacé les tours. Ils sont tous situés à moins de 150 m d’un arrêt de bus et 3,2 km de pistes cyclables ont été créés. On compte aussi un hectare de toitures végétalisées. Et près de 5 000 logements sont raccordés au réseau de chauffage urbain biomasse. Enfin, le parc du Vallon, poumon vert du quartier, a entièrement été réaménagé.
“Le défi était de régénérer la ville sur elle-même”, résume Michel Le Faou, président de l’agence d’urbanisme de Lyon, adjoint au maire de Lyon et vice-président de la métropole de Lyon, lors d’une visite guidée organisée pendant le sommet mondial Climat et Territoires. Au total, 1 754 logements seront démolis puis reconstruits d’ici à 2018. Et qui dit démolition dit évacuation des habitants concernés. Depuis 2003, 1 570 familles ont dû être relogées. Mais seulement 47 % d’entre elles ont retrouvé un toit à la Duchère.
L’objectif affiché par la municipalité était clair : en lançant ces travaux de rénovation, elle souhaitait rééquilibrer la mixité sociale au sein d’un quartier qui comptait jusqu’à présent 80 % de logements sociaux. Grâce à un accès facilité à la propriété, ce taux est aujourd’hui de 60 % et devrait passer à 54 % en 2018.
Après deux années d’immersion, Sarah Rojon, doctorante en sociologie, a publié une enquête, commandée par la mission Lyon Duchère en 2010. Elle a alerté sur les “frontières symboliques” et “les dissensions” qui pouvaient naître entre le nouveau centre du quartier, entièrement rénové, et le reste de la cité.
Prolonger le centre-ville
Au sud de Lyon, ce sont d’autres questions qui préoccupent les urbanistes de l’écoquartier de la Confluence. Situé sur la presqu’’île lyonnaise, entre le Rhône et la Saône, cet espace de 150 hectares se veut un trait d’union avec le centre-ville, séparé par la gare de Perrache.
Jusque-là, les barrières de la voie ferrée et de l’autoroute A7 rendaient le quartier peu attractif et peu accessible. Occupé principalement par des ouvriers, il hébergeait l’ancienne zone portuaire, des activités industrielles et le marché de gros. Depuis 2003, la Confluence fait peau neuve et, ici, contrairement à La Duchère, tout, ou presque, est à bâtir.
La première phase du projet, côté Saône, est presque achevée. Au total, 2 000 logements écoconçus seront sortis de terre. Parmi eux, l’Hôtel de Région, qui s’est délocalisé dans le quartier, le siège du quotidien régional Le Progrès et un centre commercial de 53 000 m2 aux allures de paquebot.
Tous répondent à un cahier des charges extrêmement exigeant en matière environnementale, avec une consommation inférieure de moitié aux normes de la réglementation thermique (moins de 50 kWh par m2 et par an) et un recours massif aux énergies renouvelables (chaufferies bois, chauffe-eau solaires…).
Quelle place pour les usages ?
La deuxième phase du projet va s’attaquer au quartier de l’ancien marché de gros, avec des bâtiments à énergie positive, conçus pour produire plus d’énergie qu’ils n’en consomment. Le quartier existant Sainte-Blandine, près de la gare, va quant à lui faire l’objet d’une écorénovation, avec par exemple l’installation de compteurs intelligents, qui vont permettre aux familles de maîtriser leur consommation d’énergie.
Depuis 2010, le WWF accompagne le projet. L’objectif ? Placer la barre encore plus haut. La démarche a déjà été testée à Londres et à Mata de Sesimbra au Portugal. Elle repose sur dix principes : zéro carbone, zéro déchet, mobilité durable, matériaux locaux et durables, mixité et équité, biodiversité, alimentation locale et durable… et aussi bien-être.
À terme, le quartier de la Confluence comptera 16 000 habitants. 25 % de l’habitat sera social. La mixité sera aussi fonctionnelle, puisque 25 000 salariés viendront y travailler chaque jour. Enfin, elle sera générationnelle. Sur les premiers logements livrés, 33 % des propriétaires sont âgés de moins de 35 ans.
“La question des usages est primordiale. Un quartier ne devient durable que quand il est accepté par les habitants et les salariés qui y transitent chaque jour. Un écoquartier ne se résume pas qu’à l’aménagement ou aux matériaux utilisés” explique Candice Magdelenat, chargée de mission villes durables pour le WWF.
“Une fonction spécifique pour aller au contact des habitants”
Pour faire adhérer la population à l’écoquartier, une maison de la Confluence a été installée au cœur du quartier. On peut y voir une maquette, des expositions, des films… Des débats et des rencontres y sont également organisés régulièrement, tout comme cela a été le cas à La Duchère. Le but : faire comprendre le projet aux citoyens, mais aussi prendre en compte leurs attentes et leurs besoins afin d’éviter des écoquartiers qui ne correspondraient pas à leurs usages.
“La prise en compte des habitants dans la construction d’écoquartiers est un phénomène assez récent”, remarque pourtant Taoufik Souami, professeur à l’école d’urbanisme de Paris. “C’est un exercice très difficile. À Confluence, le processus a du mal à s’enclencher avec les habitants. C’est compliqué de mobiliser des gens sur ces sujets. Cela demande de développer une fonction bien spécifique et à temps plein pour aller au contact de tous les usagers, les habitants mais aussi les salariés.”
[1] Depuis la création du label en 2012, 32 projets ont été labellisés, soit 41 620 logements.
Source : Novethic