La ville de Paris lance, ce mercredi 11 mars 2015, les États Généraux de l’économie circulaire du Grand Paris. Un projet qui mobilise acteurs publics, privés et citoyens pour inventer un urbanisme durable.
La maire de Paris Anne Hidalgo lance les États généraux de l’économie circulaire ce mercredi 11 mars, à l’échelle du Grand Paris. Le chantier de la future métropole est en effet l’occasion de développer cette économie sociale et environnementale, dont les exemples se limitent pour l’instant trop souvent à la micro-économie. Les États généraux courront jusqu’à juillet, afin de définir une feuille de route pour les cinq prochaines années, à partir de 2016, année de naissance de la métropole. Collectivités, entreprises, syndicats, ONG, universités, chercheurs et conseils de quartiers sont invités à débattre au sein de dix ateliers thématiques dont l’issue donnera lieu à un livre blanc dévoilé mi- septembre 2015.
Les 10 thèmes clefs des États Généraux
- Les biodéchets
- Le gaspillage alimentaire
- L’alimentation et ses circuits courts d’approvisionnement
- BTP : déchets de chantier
- BTP : éco-construction des bâtiments
- Réemploi et ressourceries
- Performance d’usage, l’économie de la fonctionnalité
- La logistique en milieu urbain dense
- Energies fatales et énergies de récupération
- Ecologie industrielle et territoriale
« Le but est de donner du sens à l’économie qui s’opère sur les territoires […]. Chaque sujet va être pris en main par une ou plusieurs collectivités, en fonction de ce qu’elle aura choisi de traiter en priorité » annonce Antoinette Guhl, maire adjointe de Paris, en charge de l’économie circulaire et de l’économie sociale et solidaire. La région est partie prenante, ainsi que les communautés d’agglomération Plaine Commune, Est Ensemble et Grand Paris Seine Ouest, les trois départements de la petite couronne ainsi qu’une dizaine de communes (Les Lilas, Sceau, Clichy-la-Garenne, Nogent-sur-Marne…). Ce qui rend l’économie circulaire si consensuelle sur l’échiquier politique, c’est notamment sa promesse d’emplois : 50 000 estimés sur le périmètre du Grand Paris, selon l’Ademe.
Plaine Commune prendra en charge l’atelier sur les plateformes de traitement des terres et déchets de chantier, car elle possède une certaine expérience en la matière. Par exemple, à Saint-Denis, sur le projet « Néaucité » de transformation des anciens ateliers d’Alstom en écoquartier, on a réussi à réutiliser plus de la moitié des déchets de démolition et des terres excavées sur le site (soit 37 000 t) diminuant, de fait, les coûts d’évacuation à hauteur d’un million d’euros.
Changer d’échelle et de méthode en même temps
Ce sujet est l’un des défis du Grand Paris, sachant que les collectivités vont devoir faire face à environ 60 millions de tonnes de terres excavées. Or, l’Ile-de-France n’a pas les installations de stockage ni de transformation pour accueillir tous ces gravats, dont certains sont toxiques. En année ordinaire (sans les chantiers du Grand Paris) la région produit 18 millions de terres et importe 13 millions de granulats. Il s’agit donc à la fois de changer d’échelle et de méthode.
En juin 2015, la région votera son premier Predec (Plan de prévention et de gestion des déchets issus des chantiers du bâtiment et des travaux publics). Celui-ci prévoit de mailler davantage le territoire de lieux de stockage. « Va-t-on mettre en place des outils et un contexte qui favorise la création de plateformes de recyclage ? » interroge Helder de Oliveira, directeur général de l’Observatoire régional des déchets (Ordif). L’un des objectifs affichés du plan est d’impliquer davantage les maîtres d’ouvrage afin qu’ils anticipent, dans les documents d’urbanisme (PLU, SCoT…), les besoins en installations mobiles et fixes nécessaires à la gestion de proximité des déchets, ainsi que les besoins en matériaux de construction. Les collectivités seraient ainsi des éléments déclencheurs d’une écologie industrielle territoriale. Rappelons que le projet de loi relatif à la transition énergétique et pour la croissance verte (PLTECV) fixe un objectif de 70 % de valorisation « matière » des déchets du secteur du BTP à l’horizon 2020.
Mais beaucoup d’éléments de contexte empêchent le développement de cette économie circulaire : légaux, fiscaux, économiques, fonciers… L’un des points de blocage est la sortie du statut de déchet et de sous-produit pour commercialiser ces matières premières secondaires. » On attend un sursaut du ministère de l’Écologie pour sécuriser le cadre juridique et le rendre totalement opérationnel » a expliqué Patricia Savin, la présidente d’Orée, association de collectivités et d’entreprises pour l’environnement, le 2 mars dernier, au « café Orée-Sciences Po Environnement » consacré à l’économie circulaire.
« Placer les conditions du succès »
Comment créer un écosystème favorable ? Alors que Bruxelles a repoussé sine die son paquet législatif sur l’économie circulaire, le PLTECV constitue ce qui en donnera le cadre en France. « A l’échelon local, on est davantage dans une logique d’ ‘empowerment’ que de gouvernance, c’est-à-dire placer les conditions du succès plutôt que de diriger » explique Nicolas Imbert, dirigeant de Green Cross France et Territoires, l’une des ONG environnementales parties prenantes des États généraux. Le but de ce raout est justement d’ensemencer et de fertiliser cet écosystème en faisant émerger des porteurs de projets et en catalysant les investisseurs. « Nous avons une demande des acteurs financiers qui ont des fonds spécifiques pour cette économie » précise Antoinette Guhl.
Les déchets sont loin d’être la seule composante de l’économie circulaire et de ces États généraux, puisqu’on y parlera éco-construction, innovation énergétique et modes de consommation. Cependant la question de la réduction des déchets est présente dans huit ateliers sur dix. Soit il est question de les faire retourner à la source d’approvisionnement (réemploi, éco-construction, énergies de récupération) soit de les faire disparaître (économie de la fonctionnalité, c’est-à-dire le remplacement du produit par le service d’usage).
Mailler le territoire pour la valorisation
Que ce soit pour les déchets de chantier, les biodéchets ou le réemploi par les ressourceries, la question du maillage du territoire est la clef. D’où la présence d’un atelier sur la logistique. « Ce qui démultiplie la part valorisée des collectivités, c’est le réseau de déchetteries » assure Eric Chevaillier, directeur de la communication extérieure de Semardel, société d’économie mixte de gestion des déchets de l’Essonne. Paris va investir 22 millions dans le déploiement de nouvelles déchetteries de proximité et recycleries. La capitale a voté le démarche « Zéro Déchets » en juin dernier mais la collecte des biodéchets commence tout juste à se mettre en place, et « la collecte sélective obligatoire des papiers et cartons n’est pas appliquée à 80 % » souligne Helder de Oliveira de l’Ordif.
En milieu urbain dense, le défi n’est pas mince. « San Francisco a mis vingt ans pour réduire de 80% ses déchets, et Milan 5 ans à les diminuer de moitié » relève Antoinette Guhl, qui précise : « nous sommes sur une démarche de 10 à 15 ans ». L’administration parisienne va expérimenter un nouveau dispositif de tri sur la voie public, regroupant verre, carton et textile. Pour les biodéchets des particuliers, la ville compte beaucoup sur l’émergence d’un esprit citoyen, en prévoyant de déployer 100 points de compost par an dans les espaces verts et les copropriétés. En effet, avec 13 à 14 % de part de biodéchets dans la poubelle des Parisiens (contre 50 % en moyenne ailleurs) le coût d’une collecte en porte-à-porte semble prohibitif.
Pour les biodéchets professionnels, dont la loi « Grenelle II » contraint le tri à la source, il faudra en revanche des solutions industrielles à court terme. La région a pris du retard avec trois projets de méthaniseurs urbains du Syctom avortés après dix ans d’étude et des dizaines de millions d’euros dépensés. Le PLTECV prévoit d’en construire 35 en Ile-de-France. Il faudra trouver des emplacements où l’acceptation sociale sera plus facile et obtenir… et plus rapide.
Définir le concept et son périmètre
Le point fort de ces Etats Généraux est de mobiliser toutes les parties prenantes, afin d’aboutir à une feuille de route opérationnelle. Les industriels seront aux côtés des collectivités et des chercheurs, notamment avec l’Institut de l’Économie Circulaire. Les citoyens seront associés, grâce aux thèmes qui les touchent (gaspillage alimentaire, nouveaux mode de consommation…) et à la communication.« Pour la première fois le problème est posé de manière à avancer, au lieu de rester statique dans l’analyse » félicite Nicolas Imbert, de Green Cross.
Cependant, la question de la définition de l’économie circulaire reste un enjeu. Si celle-ci existe [voir notre article], elle est loin d’être partagée, notamment parce que tous n’y ont pas intérêt. « Les concurrents du nouveau modèle tenteront de faire rentrer leur ancien modèle dans la définition de l’économie circulaire. D’où l’importance de se mettre d’accord sur la définition et le périmètre » préconise Aude Chartier, consultante déchets et nouvelles ressources. Le risque sous-jacent est le dévoiement d’un beau concept, que l’on vide de son sens petit à petit, comme on a pu le voir pour le développement durable. Que la présidence du Comité scientifique des États généraux ait été confiée à Dominique Bourg, professeur à l’université de Lausanne, vice-président de la Fondation Nicolas Hulot et pape de l’écologie industrielle en France, est toutefois de bon augure.