Le projet d’un “Central Park” à la française propose d’aménager un immense espace vert sur plus de 400 hectares aux portes de la capitale, où sept millions de mètres carrés pourraient être bâtis.
C’est le plus grand projet d’aménagement urbain d’Europe et il se situe à 6 km au nord de la capitale, en Seine-Saint-Denis (93). Son nom : le Central Park du Grand Paris. Le JDD dévoile ce programme pharaonique, qui souhaite “réinventer” le parc de La Courneuve, un gigantesque espace vert de 417 hectares pour en faire un “parc habité” dans sa périphérie. Avec une “façade urbaine” opérant une “couture” entre la ville et la nature, à l’image du parc Monceau à Paris, Hyde Park à Londres ou Central Park à New York (341 hectares). Aujourd’hui, ce site magnifique et méconnu (de son vrai nom Georges-Valbon) est isolé de l’agglomération, coupé des six communes qui le bordent : La Courneuve, Le Bourget, Dugny, Garges-lès-Gonesse, Stains et Saint-Denis. Une fois “requalifié”, ce poumon vert du 93 deviendrait une nouvelle centralité du Grand Paris, susceptible de “rayonner” sur l’ensemble du département le plus jeune – et le plus pauvre – de l’Hexagone.
“C’est l’acte fondateur du Grand Paris”
Les concepteurs du projet proposent de construire 1,7 million de mètres carrés – soit 24.000 logements pour 90.000 habitants – sur le pourtour du parc. Près de 2.000 immeubles de 50 m de hauteur maximale (une vingtaine d’étages) seraient bâtis mais les gratte-ciel seront proscrits à cause des aéroports du Bourget et de Roissy-CDG, tout proches. On y trouverait principalement des habitations, sociales et privées, mais aussi quelques bureaux et commerces, sans oublier des écoles, crèches, gymnases, cinémas… En élargissant le périmètre aux alentours immédiats du parc, quelque 3,1 millions de mètres carrés pourraient sortir de terre, soit 45.000 logements. Et si l’on prend en compte la cinquantaine de secteurs identifiés dans les environs, c’est 7 millions de mètres carrés qui pourraient être bâtis. Un gisement essentiel quand on connaît l’objectif légal de 70.000 logements par an dans le Grand Paris, très loin d’être atteint aujourd’hui. “De quoi requalifier quasiment les deux tiers du 93”, assurent les promoteurs, qui estiment le “prix de sortie” entre 3.000 et 3.500 euros/m² – contre 6.000 euros/m² en moyenne dans les Hauts-de-Seine, par exemple.
La paternité de ce projet ambitieux revient à l’architecte Roland Castro : “J’en avais déjà parlé à François Mitterrand en 1983, raconte-t-il. Puis, lors de la consultation du Grand Paris en 2008, j’ai développé la théorie des lieux magiques, des pôles de grande intensité urbaine hors du champ de gravité de la capitale.” Mais son beau rêve s’est enlisé. En 2012, il demande à son ami promoteur Marc Rozenblat* de relancer le projet. L’ancien maoïste et l’ex-trotskiste entament alors de sérieuses études de faisabilité, techniques et juridiques. Et ils s’associent au bureau d’études Les EnR, spécialisé dans le développement durable et piloté par François-Xavier Monaco, leur caution écologiste.
Des “jardins suspendus à tous les étages”
La fine équipe entreprend maintenant de convaincre les politiques, des maires locaux jusqu’au sommet de l’État. “François Hollande regarde le projet avec bienveillance. Et Claude Bartolone [président de l’Assemblée nationale, élu du 93] le juge exceptionnel”, se réjouit Marc Rozenblat. “C’est une belle idée de faire entrer la ville dans le parc et le parc dans la ville. Je compte bien m’engager personnellement. Je dis banco!”, s’enthousiasme Stéphane Troussel, le président PS du conseil général du 93. Même son de cloche chez Thierry Lajoie, PDG de l’Agence foncière et technique de la région parisienne (Aftrp).
En janvier 2015, le Premier ministre, Manuel Valls, doit annoncer une liste de 20 sites retenus en Île-de-France pour bâtir des logements en nombre. Une opération d’intérêt national (OIN) multisites devrait être créée, permettant au préfet de délivrer les permis de construire quand les maires traînent des pieds. Le Central Park du Grand Paris pourrait figurer en bonne place. Mais il risque de se heurter aux réticences des administrations centrales, qui apprécient rarement les opérations privées. Et surtout aux associations écologistes qui ne goûteront guère le grignotage de 70 hectares d’espaces verts, quand bien même ceux-ci seraient compensés au double (lire encadré ci-contre). “Ce projet, c’est l’acte fondateur du Grand Paris. Il aurait un rayonnement mondial. Il demande juste un peu de courage politique”, argue Roland Castro.
Argument choc : “Le Central Park du Grand Paris ne coûte pas un euro aux contribuables, plaide Marc Rozenblat. Au contraire, la vente du foncier [le conseil général de Seine-Saint-Denis est propriétaire du parc], les recettes fiscales pour l’État [TVA] et les droits de mutation rapporteront 5 milliards d’euros aux pouvoirs publics.” Le nombre d’emplois durables créés est évalué à plus de 100.000. Quant à la question cruciale de l’accessibilité, elle est déjà réglée puisque la Tangentielle Nord – un tram train reliant Le Bourget à Épinay dans un premier temps – doit être livrée en 2018, avec deux gares en bordure du parc (Stains et Dugny) ; la future ligne 16 du Grand Paris Express doit passer à proximité (La Courneuve-Six Routes) ; et la ligne 13 du métro pourrait être prolongée jusqu’à Stains.
De leur côté, Roland Castro et ses associées, Sophie Denissof et Silvia Casi, insistent sur la nécessité de “désenclaver” le parc de La Courneuve. “Devenu central [comme à New York], bordé d’immeubles de toutes tailles et de lieux d’activité, le parc devient un aimant formidable à l’échelle métropolitaine.” Un ministère pourrait même y être implanté. Les architectes suggèrent aussi de doter le parc d’une trentaine d’entrées – contre dix aujourd’hui – et de 60 perspectives visuelles. Une passerelle serait érigée au-dessus de l’autoroute A1 pour relier la Cité des 4.000 à ce nouveau “morceau de ville qui rivalise en charme avec Paris”.
La réussite du projet passe aussi par une indispensable mixité sociale ; les classes moyennes seront immanquablement attirées, pensent-ils, par la beauté des lieux et la qualité de vie. Une trame architecturale variée est proposée, avec une “utilisation massive du bois” comme matériau de construction, des “jardins suspendus à tous les étages”, des potagers, des cœurs d’îlots et des venelles plantés. “Un tel projet d’envergure nationale permettra aussi d’intensifier la ville et d’éviter de repousser toujours plus loin, en grande banlieue, les populations moyennes et modestes”, note Stéphane Troussel, pour qui cela ne fait aucun doute : “Le cœur du Grand Paris doit battre en Seine-Saint-Denis.”
* Marc Rozenblat – associé à Bernard Rayard – est le directeur général de la société Constructions et développements urbains (CDU), spécialisée dans le montage et le pilotage de grands projets immobiliers.
Source : le JDD