Lundi 6 juin se tenait au Tank la deuxième édition des rencontres « IRL » des Arpenteurs, avec un programme “hyper enthousiasmant” : 2050 : fin de partie ? Et si notre civilisation industrielle s’effondrait ? Retour sur une soirée finalement plutôt optimiste.
Sur scène pour parler effondrement, quatre invités de choix : Geneviève Ferone-Creuzet, vice-présidente du think tank The shift project, et auteure de : 2030, le krach écologique ; Rémi Sussan,journaliste spécialisé dans les nouvelles technologies, auteur de 8 papiers « Contre l’effondrement » pour Internet Actu ; Jean-Noël Dumont, aka « le régional de l’étape », ingénieur à l’Andra, en charge de la mémoire et de la prospective ; et « le coupable de la soirée », Raphaël Stevens, chercheur spécialisé en résilience des systèmes socio-écologiques, et auteur, avec Pablo Servigne, deComment tout peut s’effondrer – petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes.
Sans oublier l’animateur émérite, Thierry Keller, rédacteur en chef des Arpenteurs.
Le zombie est mainstream
En deux minutes à peine, une ambiance de fin du monde s’installe avec un film d’intro, « patchwork d’images malhonnêtement montées », autour du thème de la catastrophe. Au-delà de l’effet d’ambiance, le montage révèle que les indices de l’effondrement sont globalement présents et chiffrables (réchauffement climatique, fin annoncée des énergies fossiles, risque d’un gros krach économique, etc.) et qu’il existe une véritable culture populaire qui traite de la question. Les imaginaires du futur tournent quasi systématiquement à la dystopie. Au bout du compte, « le zombie est devenu mainstream ».
Mais alors plus sérieusement, de quoi parle-t-on ? La collapsologie n’est pas un terme scientifique ni une discipline académique. « À l’origine c’est plus un clin d’œil entre Pablo et moi », s’amuse Raphael Stevens. « Effondrement » est un terme qui revient souvent en économie, en écologie ou encore en histoire. Il rassemble toutes sortes de problématiques. L’idée était de créer une discipline qui étudie la situation présente à travers le prisme de l’effondrement : d’où la collapsologie (de l’anglais collapse : s’effondrer). »
La fin d’un monde, pas la fin du monde
Geneviève Ferone ne se veut pas alarmiste, plutôt pragmatique. La période que nous connaissons aujourd’hui marque une rupture avec tout ce que nous avons pu connaitre avant la révolution industrielle. Les technologies ont radicalement changé le rapport au temps et la diffusion des connaissances. L’homme modifie son environnement plus vite qu’il ne le comprend, avec cette injonction de faire mieux avec moins. « C’est le nouveau mythe prométhéen. »
L’occasion de revenir sur la question de l’anthropocène, cette nouvelle ère qui correspond à l’irruption de l’homme et de la technologie dans son environnement : le règne de l’homme, pourrait-on dire. Si nous ne savons pas précisément dater son origine (découverte des Amériques ? Hiroshima ?), nous pouvons déjà prédire que nous allons en sortir très rapidement…
Raphaël Stevens n’est pas moins direct : « La civilisation industrielle telle que nous la connaissons va mourir, c’est inéluctable ». C’est là qu’intervient la notion de « prédicament » : il n’y a pas vraiment de solution, mais des alternatives. Nous pouvons essayer de créer une autre civilisation, faire renaitre une multitude de systèmes capables d’absorber les catastrophes écologiques et de continuer l’aventure humaine en bonne intelligence avec la biosphère. La technologie ne peut pas tout régler. Il existe déjà aujourd’hui une multitude d’alternatives (permaculture, low tech, etc.) mais elles ne font pas encore système. C’est ce système viable, résilient et démocratique que nous devons créer. L’extinction de l’humanité est une possibilité, mais nous nous devons encore d’être optimistes pour faire émerger une autre conscience planétaire moins toxique et plus profitable pour les générations futures.
Et le développement durable dans tout ça ?
Geneviève Ferone parle plutôt de « développement soutenable », en y introduisant une dimension éthique. Dans un monde idéal, une écologie industrielle consisterait à s’inspirer de la nature, à adopter les principes de l’économie circulaire pour limiter le recours aux ressources naturelles. Mais faute d’incitations (taxes, interdictions, etc.), nous sommes restés dans une économie paresseuse (l’énergie fossile ne coûte rien). Nous avons les outils mais, dans le cadre réglementaire actuel, le développement durable reste une utopie et nous nous dirigeons inévitablement vers l’effondrement.
Même l’optimiste de la bande, Rémi Sussan, ne peut nier que les faits sont là et qu’il n’est plus possible de se cacher derrière un optimisme béat, à la limite de la théorie du complot. Il ne remet pas en question le constat de l’effondrement, mais propose des solutions pour l’éviter. Les technologies existent : photosynthèse, biocarburants améliorés par OGM, nouveaux types d’énergies solaires, etc. Mais toute la question est de savoir comment elles vont évoluer. Par exemple, l’impression 3D : aujourd’hui ses promesses sont minces en termes de remplacement de l’industrie. Mais demain, l’auto-assemblage associé à l’impression de tissus vivants peut devenir très intéressant. L’autre enjeu étant celui du passage à l’échelle (la fameuse « scalabilité » chère aux startup).
Penser le long terme avec la réversibilité
L’Andra, dont la mission est de gérer les déchets radioactifs de façon sûre pendant tout le temps où ils sont dangereux, ne réfléchit pas à l’effondrement en tant que tel, mais élabore des systèmes de stockage qui doivent pouvoir fonctionner de façon passive, sans intervention de l’homme – au cas où il ne serait plus.
Le projet CIGEO (Centre Industriel Géologique de Stockage des Déchets Radioactifs) est quant à lui exemplaire en termes de réversibilité. Il s’agit de stocker les déchets radioactifs de haute activité et à vie longue à 500 mètres de profondeur. Sa mise en service complète est prévue pour 2035 et l’Andra prévoit déjà de donner la possibilité à ses successeurs « de prendre des décisions qui ne sont pas les mêmes que les nôtres ». C’est-à-dire de faire évoluer la conception de l’installation, d’arrêter son exploitation ou de retirer les colis de déchets qui y seront stockés…
Quant à la question récurrente de l’envoi des déchets radioactifs dans l’espace, Jean-Noël Dumont préfère y couper court : il existe 1 chance sur 1000 que la fusée explose avant destination, c’est une chance de trop.
D’ailleurs, ce renouveau de l’engouement pour l’espace auquel on assiste actuellement ne convainc pas tellement. Elon Musk par exemple veut envoyer des gens sur Mars. Rémi Sussan se gausse : « ça ne sert strictement à rien ! ». La situation sur Terre resterait la même. En revanche, il est plutôt favorable à une colonisation de la banlieue proche de la Terre, c’est-à-dire jusqu’à la lune. Plusieurs projets, même déjà anciens, s’y aventurent, comme les miroirs solaires ou l’ascenseur spatial.
L’oligarchie, ça suffit !
La question démocratique est évidemment essentielle dans ce débat.
Mais pour Raphaël Stevens, avant la démocratie, c’est la question de l’entraide et de la solidarité qu’il faut poser. De la coopération avant la compétition. Il en profite pour citer l’ouvrage d’Hervé Kempf, L’Oligarchie ça suffit, vive la démocratie.
C’est d’ailleurs cette question du politique qui intéresse tout particulièrement le public venu assister au débat : « Un terme que nous n’avons pas entendu : néolibéralisme. Pillage de l’environnement, absence de démocratie, multiplication des échanges marchands, le profit avant l’homme… N’est-ce pas à nous – citoyens – de reprendre le contrôle de nos vies ? »
Geneviève Ferone déplore en effet cette civilisation de prédation et non plus de coopération qui est la nôtre. Pourtant la coopération est effectivement la seule issue. Bien sûr les citoyens doivent reprendre le contrôle, mais avec quels moyens ? D’après elle, entre un récit libertaire et un récit totalitaire, l’humanité se dirige davantage vers le second… (nouveau conseil lecture au passage : les visionnaires 1984 de George Orwell, Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley et Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques, de Philip K. Dick).
Le transhumanisme, un plan B valable ? Certains préparent déjà ce plan « un peu allumé mais à prendre au sérieux ». Mais alors, plus que la fin monde, c’est la question de la fin de l’humanité qui est posée.
Rémi Sussan rappelle tout de même qu’aucun transhumaniste n’envisage de laisser tomber l’humanité. Mais c’est un autre débat ! Peut-être le prochain ?
Le dernier mot revient à Raphaël Stevens, qui n’oublie pas de rappeler que d’autres plans B sont déjà en marche avec les « Villes en transition », « Occupy Wall Street » et autres « Nuit debout ». Il faut montrer l’exemple aux générations futures et avancer ensemble !
Plutôt optimiste on vous dit.