Les premiers pas de la «smart city», en France, sont décevants. Les infrastructeurs lourdes se multiplient sans retour sur investissement. Mieux vaudrait des stratégies de co-construction avec les citoyens.
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La «smart city», c’est cette ville «intelligente», bourrée de capteurs, nourrie à la «data» et qui, grâce au numérique, serait plus efficace, durable, facile à vivre, participative… Mais, dix ans après l’apparition des premières initiatives, qui bénéficie aujourd’hui du wi-fi public gratuit sur tout le territoire de sa commune ? Qui a vu sa facture d’énergie baisser ? Qui a déjà participé à un référendum d’initiative populaire ? Qui peut citer une application issue des données ouvertes («open data») ayant véritablement amélioré son quotidien ? Pas grand monde, en réalité, mis à part quelques chanceux qui logent dans les cent cinquante écoquartiers de France ou les geeks activistes impliqués dans la vie de la cité.
Loi des affaires
La plupart des Français reçoivent encore leurs factures par la poste et «monsieur EDF» vient toujours relever les compteurs entre deux pics de pollution. Le cas des compteurs d’électricité connectés Linky est révélateur : le projet lancé en 2007 n’aboutira qu’en… 2021, avec l’installation de 31 millions de boîtiers en France. Près de quinze ans pour occuper son marché ! Au bout du compte, il n’y a guère que le secteur des transports urbains pour proposer une offre réellement connectée, grâce à laquelle le voyageur des grandes villes dispose d’une palette de services plus large – vélo, VTC, autopartage… – et d’une d’information en temps réel pour optimiser ses trajets.
Le partenariat à l’origine de la «smart city» se voulait une collaboration équilibrée entre pouvoirs publics, citoyens, start-up et grands groupes. Malheureusement, la loi des affaires s’est imposée au détriment de la vision de départ. L’aventure semble avoir particulièrement profité aux multinationales, américaines le plus souvent, comme IBM, Cisco et maintenant Google-Alphabet. L’installation d’infrastructures informatiques lourdes dans de nombreuses villes françaises se multiplie (avec à la clef des milliers d’heures de consultants…) sans que le retour sur investissement ne soit vraiment probant pour les collectivités et encore moins pour les habitants. Trop cher, trop techno-centrique, trop intrusif, pas assez participatif.
Copier les start-up
Nous gagnerions plutôt à nous inspirer de certaines villes de l’hémisphère Sud qui gèrent la transformation urbaine avec beaucoup plus de réalisme, d’ingéniosité et nettement moins de moyens. L’exemple de Medellin, en Colombie, force le respect. En quelques années, l’ancienne capitale du narco-crime s’est muée en une cité attractive qui a refait son apparition dans les guides touristiques. Mêlant efficacement le digital et le physique, elle a réussi à développer un urbanisme réellement inclusif et elle a mis en oeuvre un réseau de transport innovant, où l’on trouve même des téléphériques.
Autre piste de réflexion, méthodologique cette fois : la frugalité. Plutôt que d’adopter tête baissée des solutions industrielles clefs en main, les villes feraient bien de s’inspirer davantage de la démarche «lean» des start-up : prototypage rapide, puis mise à la disposition d’un public ciblé et co-construction avec les utilisateurs, avant un éventuel déploiement. Ces stratégies «test and learn», bien moins coûteuses, ont le mérite de (re)donner la parole aux habitants et de coller à leurs besoins.
C’est sur ce terrain que la ville intelligente doit retrouver sa vocation initiale : authentiquement participative, portée et transformée par les citoyens, comme le propose le mouvement NewCityzens, cette association qui utilise le numérique pour engager les habitants des villes à être bâtisseurs de leur propre futur. Car si 70 % des humains habiteront dans des zones urbaines à l’horizon 2050, notre enjeu est bien de fabriquer la ville pour tous, avec la complicité constructive d’entreprises citoyennes. Sans leur sursaut d’acteurs socialement responsables, la ville connectée, pour les gens et par les gens, aura du mal à voir le jour.